La revue Présence africaine

avec son Directeur de la rédaction Romuald Fonkoua

L’histoire de la naissance d’une revue qui se veut la voix de l’Afrique, de toute l’Afrique et le rôle qu’une revue comme Présence africaine peut jouer dans l’énoncé d’une politique de développement pour l’Afrique aujourd’hui, pour en renouveler l’esprit, pour inciter l’Europe à porter un autre regard sur l’Afrique.

Émission proposée par : François-Pierre Nizery
Référence : pag254
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Présence africaine, n° 1, novembre-décembre 1947

Présence africaine, c'est la revue de l'Afrique, c'est la voix de l'Afrique, de l'Afrique noire essentiellement. Née en 1947, il y a soixante ans cette année, la revue Présence africaine se révèle au monde, dans son premier numéro, sous le regard, et la plume, de prestigieux parrains des deux continents, Léopold Sedar Senghor, André Gide, qui en rédige l'avant-propos, Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire, Richard Wright, Théodore Monod, Emmanuel Mounier, Albert Camus, et d'autres encore, et aussi bien sûr sous l'impulsion très forte de son fondateur Alioune Diop, décédé en 1980, mais dont la veuve, Christiane Diop, tient toujours activement la barre de ce beau navire, à la tête de la maison d'édition Présence africaine, car Présence africaine, c'est une revue mais c'est aussi une maison d'édition.

Bel exemple, s'il en est, d'esprit collectif, la revue Présence africaine s'est donnée d'emblée l'ambition de promouvoir la présence africaine dans le concert des littératures du monde et donc de la pensée universelle, et aussi de nourrir le dialogue entre l'Afrique noire et l'Europe. Car c'est toute l'Afrique noire qu'il fallait rendre présente, pas seulement l'Afrique francophone (Présence africaine deviendra rapidement une revue largement ouverte aux contributions en anglais, une revue quasiment bilingue), pas seulement non plus l'Afrique installée sur le continent africain mais aussi celle d'ailleurs, des Antilles, d'Amérique, d'Europe même car l'Europe est aussi aujourd'hui un terrain de dialogue interne, migration oblige, entre Africains et Européens.

Poursuivant l'exploration des "carnets de désirs" littéraires, François-Pierre Nizery nous propose d'aller "au fil des pages" de Présence africaine, et de faire connaissance avec son directeur de la rédaction, Romuald Fonkoua.

Dans cette émission, Romuald Fonkoua tente de cerner le sens profond, philosophique même, de la démarche de sa revue. Il commente, pour les auditeurs de Canal Académie, le mot "présence", derrière lequel se profile le mot "absence".

Dans le n° 1 de Présence africaine, Jacques Howlett oppose la "présence" de l'Afrique à une certaine absence occidentale, à son goût de l'abstrait. Alioune Diop, dans son introduction à ce premier numéro qualifie la présence africaine de présence "au concret à sa succulence naturelle et immédiate", tandis que "l'Européen, lui, est tendu vers les périls de l'existence et se préoccupe de les conjurer". Et il ajoute que les Africains seraient "des bourgeois là où l'Européen est un militant." Étonnante entrée en matière!

Par delà cette question centrale de la philosophie, très présente dans la revue et qui y fait même l'objet de débats intenses, Romuald Fonkoua évoque également le lien entre Présence africaine et le mouvement panafricaniste. Il y a également sur ce sujet, et sur l'existence-même d'une culture africaine unique, un autre vrai débat au sein de la revue. Cheik Anta Diop en parle dans son intervention au Congrès international des écrivains et artistes noirs de 1956 dont la revue reproduit les actes dans son n° spécial de 1997 paru à l'occasion du 50e anniversaire de Présence africaine. Il persistera par la suite notamment dans son ouvrage "L'Unité culturelle de l'Afrique noire" publié par Présence africaine en 1960. Cinquante ans plus tard, il est vivement contesté sur ce plan par Jean Fonkoué dans le n° 171 de 2005. Senghor lui aussi défend cette idée dans sa propre intervention au Congrès de 1956 et suscite déjà à l'époque un débat très vif dans la salle.

Après avoir abordé quelques questions relatives à l'organisation de la revue, ses rubriques, le poids relatif des différentes expressions littéraires, Romuald Fonkoua se penche sur le rôle qu'une revue comme Présence africaine peut jouer dans l'énoncé d'une politique de développement pour l'Afrique aujourd'hui, pour en renouveler l'esprit, pour inciter l'Europe à porter un autre regard sur l'Afrique, celui que Gide appelait déjà de ses vœux en 1947 dans son avant-propos du n° 1, un appel qui reste d'actualité. L'Europe écoute-t-elle suffisamment la voix de l'Afrique: la solidarité, l'esprit collectif, la pluralité linguistique vécue au quotidien, et puis, dans le domaine artistique, cet extraordinaire manière de créer de l'art en métissant les expressions artistiques en faisant interagir la sculpture, le chant, la danse, la poésie de façon à communiquer à celui qui regarde (acteur plus que spectateur) la surréalité de l'œuvre, son sens plus que son signe, selon les mots de Léopold Sedar Senghor au Congrès de 1956?

C'est la voix de Senghor, celle de la négritude, interprétée par Romuald Fonkoua, qui conclut l'émission, comme pour chanter la beauté de la langue française, trempée dans le désir d'Afrique.

Romuald Fonkoua

Mieux connaître Romuald Fonkoua

Romuald Fonkoua est Directeur de la rédaction de Présence africaine. Il est aussi un universitaire de renom dans le domaine littéraire, professeur de littérature française et francophone à l'Institut de Littérature française de l'Université Marc Bloch de Strasbourg 2. Il a été, jusqu'en 2003, maître de conférence de littérature générale et comparée à l'Université de Cergy-Pontoise où il a contribué à la création du département des lettres modernes avec le professeur Bernard Mouralis, autre universitaire de renom (membre du comité de rédaction de Présence africaine mais aussi de Riveneuve Continents qui a fait l'objet d'une autre émission "Au Fil des Pages"). Il collabore par ailleurs à bien d'autres organisations, dont notamment l'Association CulturesFrance. Il a publié de nombreux travaux de recherche et des essais littéraires dont un en 2003 sur Albert Camus.

François-Pierre Nizery

François-Pierre Nizery

François-Pierre Nizery est écrivain et peintre. Ses romans et poésies sont publiés chez Bernard Gilson à Bruxelles. Son dernier ouvrage, « Le Minéral et la fleur », paru chez le même éditeur en novembre 2005, est un essai littéraire sur l’œuvre de mémoire, le chemin de vie et l’héritage d’André Chamson, auquel une rubrique de l’émission "En habit vert" sur Canal Académie a été consacrée. Il contribue régulièrement à la revue littéraire internationale « Riveneuve Continents » et anime à Bruxelles les « Conversations littéraires » de l’Alliance française. Breton de souche et de cœur, Français de nationalité, il vit depuis trente-cinq ans dans la capitale belge où il exerce son métier de Conseiller à la Commission européenne chargé de la culture dans la politique de développement.

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