Le Portement de Croix de Peter Bruegel l’Aîné

L’historien d’art Michael Gibson détaille les personnages du célèbre tableau du maître flamand
Avec Krista Leuck
journaliste

Le Portement de Croix, tableau célèbre de Pieter Bruegel l’Aîné, est ici raconté par Michael Gibson, auteur d’un ouvrage entièrement consacré à cette œuvre emblématique du maître du XVIe siècle.

Émission proposée par : Krista Leuck
Référence : carr347
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Le portement de croix, l’un des grands tableaux de Pierre Bruegel l’Aîné aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum à Vienne relate ostensiblement un épisode de la Passion du Christ. Peint en 1564, l’œuvre mesure 170 cm par 124 cm et représente un vaste paysage peuplé de quelques 500 personnages qui, pour la plupart, vont de la ville au fond à gauche vers le Golgotha au fond à droite. D’autres personnages, paysans, bergers et journaliers se dirigent vers la ville avec des denrées qu’ils se proposent de vendre au marché.

Le Portement de Croix, 1564
BRVEGEL. MD.LXIIII<br /> Eichenholtz 124 x 170 cm <br /> Kunsthistorisches Museum Wien, Gemäldegalerie Inv.-Nr. GG_1025

Au milieu d’eux, les condamnés, le Christ et les deux larrons, se dirigent vers le lieu d’exécution entouré d’une troupe de soldats en tuniques rouges précédés par la bannière des Habsbourg, l’aigle à deux têtes.

Ceci nous laisse entendre que le sujet du tableau est double. Il relate certes la passion du Christ, mais il fait aussi allusion à la brutale répression politique et religieuse que connurent les Pays-Bas à l’époque de Bruegel, quand le pouvoir espagnol suppliciait les hérétiques, « les hommes par l’épée, les femmes enterrées vives. » En effet, la Réforme connaissait alors un certain succès dans les Flandres et le Brabant.

La scène est complexe et se présente en fait comme un scénario que le regard parcourt et découvre par étapes successives.
One peut même dire qu’il s’agit d’une miniature à une très grande échelle. Il serait d’ailleurs commode de l’observer à la loupe, tant les détails sont minuscules.

La scène est dominée par une haute et improbable formation rocheuse surmontée d’un tout aussi improbable moulin. On se demande en effet comment on fait pour y acheminer le grain à moudre et comment on redescend la farine qui est ainsi produite.
Mais le moulin de Bruegel est sans doute une forme symbolique et il est intéressant de noter que le meunier devant son moulin se trouve posté au même endroit que la figure de Dieu le Père, observant la terre depuis son trône dans les nuages, dans la tradition picturale flamande antérieure. Il semblerait donc que le moulin doive être une métaphore du cosmos qui tourne jour et nuit au-dessus de nos têtes comme un moulin.

Le Christ lui-même, quoiqu’il soit placé au centre exact du tableau, est bien caché – minuscule et vêtu de gris au sein de la foule, on a du mal à le distinguer. Cela donne à entendre que l’événement décisif, l’événement qui transforme le monde, passe inaperçu.


Au premier plan la Vierge avec les Saintes Femmes et Saint Jean sont traités dans un style très différent du reste tableau – un style archaïsant qui évoque celui de van Eyck ou de van der Weyden. Ce contraste entre le pathos tragique de ce groupe et la verdeur amusée qui caractérise le traitement de la foule est propre à Bruegel qui, par l’ampleur de sa vision mérite d’être reconnu comme le Shakespeare des Flandres.
C’est le peintre lui-même que l’on reconnaît enfin, tout au bord du tableau, à droite, observant la scène qu’il va bientôt peindre. On pourrait enfin imaginer que l’homme qui pleure à ses côté est Nicholas Jonghelinck, le banquier anversois qui allait acquérir le tableau.

Le tableau est donc une méditation à la fois religieuse, morale et politique touchant à la violence, l’indifférence et l’inconscience humaines.

Michael Gibson

Critique d’art, historien de l’art, anthropologue, romancier, depuis 1970, Michael Gibson écrit sur l’art et la culture dans l’International Herald-Tribune et de nombreuses autres publications (New York Times, Art in America, The Drama Review, Connaissance des Arts, etc).
Sa monographie consacrée au Dadaïsme et à Marcel Duchamp (Duchamp-Dada, NEF-Casterman, 1991), reçut la récompense du Livre d’Art International de Prix Vasari en 1991. Michael Gibson a consacré d’autres monographies à Paul Gauguin (Polygrafa), Odilon Redon, L’art symboliste (Taschen) Alexander Calder et de nombreux artistes contemporains.

En 2000, TV Polonia a diffusé Un Américain à Paris et la Question Polonaise, deux films documentaires d’une demi-heure de Stefan Szlachtycz consacrés à Francis Gibson, sa vie, son œuvre et son histoire familiale – et notamment celle de son père, Hugh Gibson, le premier envoyé des Etats-Unis en Pologne en 1919.
Il écrit actuellement, avec le réalisateur polonais Lech Majewski, le scénario d’un film consacré au Portement de Croix de Pierre Bruegel l’Aîné.

Cette émission existe en version anglaise : The Way to Calvary, by Pieter Bruegel

Michael Gibson, Portement de croixImage retirée., Histoire d’un tableau de Pierre Bruegel l’Aîné, Noêsis, Collection L’œuvre, Paris 1996

Michael Gibson, The Mill and the Cross, Acatos, Lausanne, 2001

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