La ratatouille ou les avatars de la mondialisation des légumes

Histoire et Gastronomie, la chronique du Dr Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Goûtez l’histoire de la ratatouille, ce ragoût de légumes qui embaume le Midi ! L’origine du mot est déjà tout un plat. Chacun de ses composants et condiments, aubergine, tomate, courgette, poivron, oignon, et autres, a une origine amusante et intéressante à découvrir où l’Histoire, la grande, n’est jamais très éloignée, à preuve : la ratatouille ne peut être antérieure au XVIe siècle.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr346
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Quoi de plus traditionnel et évocateur des splendeurs de la cuisine méditerranéenne que la ratatouille ? La ratatouille est un ragoût de légumes (tomates, aubergines, courgettes, poivrons) revenus séparément ou ensemble dans l’huile d’olive. On y ajoute de l’ail, des olives (ratatouille niçoise), parfois des oignons qui définissent la bohémienne languedocienne. La ratatouille est répandue sur tout le pourtour de la Méditerranée. Ainsi la caponata sicilienne, chère au commissaire Montalban, héros des romans policiers d’Andréa Camillieri, rajoute cèpes, olives et une branche de céleri, le tout déglacé avec un peu de vinaigre.

À l’origine, le mot ratatouille a d’abord désigné en 1778 un ragoût grossier, un mélange grossier, voire une raclée. Son abréviation rata a désigné à la fin du XIXe siècle, en argot militaire, un mélange de haricots et de pommes de terre, puis un mélange de légumes et de viande. Ce n’est qu’au cours du XXe siècle, que le mot ratatouille a pris le sens que nous lui connaissons.

Si la dénomination du plat est récente, le plat est plus ancien, mais qu’en est-il vraiment ?
Il est amusant de reprendre un à un les éléments constitutifs de la ratatouille et de déterminer leur origine :
- l’aubergine est un légume voyageur qui nous vient d’Inde, et qui n’est apparu chez nous qu’au XVIe siècle, époque à laquelle on le considérait comme une plante ornementale vénéneuse.

- la tomate nous vient de l’Amérique précolombienne ; originaire du Mexique, ramenée en Europe au XVIe siècle, la tomate qui avait alors la taille d’une de nos tomates cerises actuelles, ne s’est que lentement répandue dans notre pays : elle n’est arrivée à Paris que sous la Révolution avec les volontaires marseillais (avec la Marseillaise). Elle sera cuisinée sous les arcades du palais royal dans le célèbre restaurant du directoire, les « Frères Provençaux » et à l’époque de Brillat Savarin, sous la Restauration, elle ne servait encore qu’à colorer les sauces en rouge.
- la courgette est aussi d’origine américaine. Seuls en effet parmi les cucurbitacées, les melons et les concombres sont issus de l’Ancien monde. On ne s’est longtemps servi que des courges. Les courgettes sont des courges cueillies avant maturité : la première acception du mot date de 1929.
- le poivron est un piment doux d’origine américaine lui aussi. Le piment formait avec le maïs, les courges et les haricots une des bases de l’alimentation amérindienne. Tous les piments sont originaires du Nouveau monde, et ils se sont répandus comme une traînée de poudre (au goût explosif) sur toute la terre, déjà cultivés en Inde vers 1560. Le poivron est la même plante que le piment, sélectionné pour faire disparaître le caractère brûlant dû à lla capsaïcine. Le poivron s’est répandu sur nos tables plus lentement que le piment. Il est d’usage de mélanger poivrons rouges et verts pour donner de la couleur à la ratatouille.

Si l’on enlève dans la ratatouille l’aubergine indienne et les légumes amérindiens (courgette, tomate et poivron), il ne reste plus que l’oignon (si l’on en met), l’ail et l’olive. L’olive, d’origine asiatique acclimatée en Grèce, a été rapportée en Provence par les colons massaliotes au VIe siècle avant notre ère. Donc seuls les oignons et l’ail sont d’origine autochtone.

Ce plat n’a donc pu être inventé que depuis le XVIe siècle et probablement au XVIIIe siècle, alors qu’il nous paraît faire partie du patrimoine immémorial de notre gastronomie. La mondialisation s’est donc déjà produite à de nombreuses reprises dans le passé. Déjà à Rome, les trois quarts des recettes d’Apicius contenaient du poivre, venu des îles Molluques. Une grande part de notre alimentation légumière et fruitière vient des cieux lointains. Heureusement sans doute, car sinon, nous en serions réduits, comme nos ancêtres du moyen âge lors des crises frumentaires, si le pain était rare et cher, à manger des choux, des fèves et des racines (carottes, panais et navets) !

En savoir plus :

Voici en quelques dates le parcours de Jean Vitaux :
- Interne des hôpitaux de Paris (1975-78)
- Chef de clinique, assistant des hôpitaux de Paris à l'hôpital Beaujon (1979-84)
- Médecin libéral (depuis 1981)
- Attaché en premier des hôpitaux de Paris (1985)
- Membre de la Société nationale française de gastro-entérologie, de la Société française d'endoscopie digestive, du Club français d'échoendoscopie

Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Pour écouter sa communication, cliquez sur le lien suivant : Peut-on écrire l’histoire de la gastronomie ?

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