Internet et le droit

Par Isabelle Falque-Pierrotin, conseiller d’État

Internet et le droit ont incontestablement noué des relations mais lesquelles ? On a cru, au début, qu’Internet signait la mort du droit et représentait la revanche de la liberté sur la contrainte dans les années 90. Aujourd’hui la question du droit se pose différemment dans cet espace numérique où plus d’un milliard d’individus se connecte. Canal Académie retransmet la communication du conseiller d’État Isabelle Falque-Pierrotin devant l’Académie des sciences morales et politiques.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : es331
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Lors de sa communication Internet et le droit, prononcée le 29 mai 2008, le conseiller d'État Isabelle Falque-Pierrotin s'interroge sur la manière dont Internet modifie notre approche du droit.

Selon elle, Internet n'est pas l'espace de non-droit qu'on veut bien croire. Le droit est fragilisé mais Internet conduit aussi à un nouveau mode de production normative. Il ébranle la sécurité du droit par l'existence de trafics illégaux, par l'usage généralisé du « peer to peer ». Quid du sujet des droits d'auteur sur Internet? La Déclaration d'indépendance du cybermonde de 1996 de John Perry Barlow semble avoir tout dit du rapport à la règle qui ne peut être imposée. Les acteurs d'Internet réclament « des solutions particulières », une action collective, et une ou des appartenances à une communauté transnationale.

Sur Internet, une règle de droit ne vaut plus que par son acceptation. Le degré d'acceptabilité de la norme conditionne, en effet, pour l'internaute, son effectivité. Internet modifie notre approche des concepts fondamentaux de liberté et de propriété. Par conséquent : « À travers le prisme du droit, c'est finalement à un réexamen des bases de nos sociétés contemporaines auquel nous convie Internet ».

Parallèlement, Internet est source de droit avec la "netétiquette", la référence des usages qui se sont développés sur Internet. Le web participatif a permis l'émergence de communautés internationales dans le monde numérique, capables d'autoproduire des pratiques et des règles, parfois en contradiction avec le droit national des États. Les normes juridiques anglo-saxonnes ont tendance à s'imposer aux autres normes existantes. Isabelle Falque-Pierrotin parle d'un impérialisme d'un type nouveau lié à la norme.

Internet crée d'autres ruptures. Isabelle Falque-Pierrotin décortique l'exemple des licences libres, inventées par un professeur de droit américain. Ce système est à l'origine de la production d'un droit international qui n'est pas soumis au droit national. La question de sa comptabilité avec le droit étatique ne se pose pas pour les internautes et ses conséquences sont profondes. Elle dit : «...Ces quelques exemples montrent à quel point, le monde numérique entraîne un bouleversement de la normativité : l'autorité de la règle de droit est ébranlée à travers une capacité d'évasion et de résistance inédite au bénéfice de l'individu.»
_Dans cet univers numérique, comment faire pour que les règles soient connues et respectées de tous, d'autant qu'un contrôle ou une instance de régulation de type étatique est inconcevable dans ce contexte ? Isabelle Falque-Pierrotin donne son avis de praticienne du droit et explique que la régulation négociée, c'est-à-dire la construction de partenariats, est le seul moyen de garder de la gouvernabilité dans le système.

En savoir plus :

- Isabelle Falque-Pierrotin est entrée au Conseil d'État en 1986. Elle est depuis 1998, rapporteur général de la Section du rapport et des études du Conseil d'État. Elle préside depuis 7 ans le Forum des droits sur l'Internet dont elle est la déléguée générale et la présidente du Conseil d'orientation.
-Isabelle Falque-Pierrotin, Internet, enjeux juridiques, Édition La Documentation française, juin 1997.
- Isabelle Falque-Pierrotin, Le Forum des droits sur Internet, Rapport d'activité année 2006, Documentation française, 2007.
- - Isabelle Falque-Pierrotin, Le Forum des droits sur Internet, Rapport d'activité année 2007 , La Documentation française, juin 2008
- Texte de sa communication sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques.

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