Rentrée et baccalauréat

La rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

La rentrée, une entrée à enterrer ? Voilà un mot qui soulève des questions lexicales auxquelles notre lexicographe, Jean Pruvost, de l’Université de Cergy-Pontoise, répond avec talent. Quant à baccalauréat, son étymologie ne manque pas de charme !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots320
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La rentrée, une entrée à enterrer ?

« Vivent les vacances, à bas la rentrée… Pourtant il trottait, ses livres sur son dos et sa toupie dans sa poche », dit de lui-même, avec nostalgie, Anatole France dans le Livre de mon ami (1885), en rappelant tout à la fois la chanson enfantine et la période particulière qui ouvre l’année scolaire. Voici donc revenu le moment des sentiments partagés entre la nouvelle page à écrire et le regret des congés d’été. Or d’entrée, c’est le cas de le dire, la rentrée, soulève quelques questions, lexicales s’entend.
Certes, on y retrouve bien le mot entrée, et le latin intra, à l’intérieur de, à l’origine du verbe entrer, mais la « rentrée » attestée au XIIIe siècle n’était évidemment pas scolaire. Elle représentait d’abord le retour dans un lieu quitté, un royaume par exemple, ce qui correspond aujourd’hui à la « rentrée » d’un vaisseau spatial dans l’atmosphère terrestre. C’est ensuite la chasse qui s’imposa, avec un sens clairement consigné dès la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694), la rentrée désignant précisément « le retour des animaux dans le bois au point du jour ». L’exemple choisi ne manque pas d’ailleurs d’être inquiétant si on l’applique à la rentrée des vacanciers estivaux, pleins de bonnes intentions : « Attendre le gibier à la rentrée » ! On patientera en fait jusqu’en 1718 pour que soit attestée la « rentrée du Parlement », et jusqu’en 1822, pour celle des classes.
Dès lors le grammairien puriste ou grincheux peut intervenir : ne devrait-on pas en effet éviter de dire rentrée pour l’élève qui entre pour la première fois à l’école, au collège, au lycée, à l’université ? Quoi qu’il en soit, les amateurs d’anagrammes l’ont parfaitement repéré : dans la « rentrée », se cache un mot sans appel pour le repos estival : « enterré » !

Le baccalauréat, entre lauriers et vignes

« Bacaloréat : Degré de Bachelier », telle est la première définition du diplôme, en 1680, par Richelet. Et pour suivre l’histoire des deux mots, le bachelier passera avant le baccalauréat. En effet, dès la fin du XIe siècle, le bachel(i)er désigne un jeune homme aspirant notamment à devenir chevalier, mais au XIVe siècle, la consécration change et il devient celui qui franchit le premier des trois grades universitaires. À partir du latin tardif baccalaureatus sera alors créé, au XVIe siècle, le mot baccalauréat, diplôme décerné au bachelier en théologie, en médecine ou en droit civil. Enfin, en 1808, le baccalauréat, bac ou bachot pour les intimes, est officiellement institué en tant qu’examen achevant les études secondaires.
L’étymologie ne manque pas de charme, elle se promène entre vignes et lauriers, un bâton à la main… Pour certains, le bachelier viendrait en effet d’un mot gaulois, bakk, peut-être un bâton ; pour P. Guiraud, le bac se rattacherait au contraire à la vigne, bacchus, une valeur sûre pour son propriétaire. Et comme tout diplôme a ses lauréats, c’est-à-dire ceux que l’on couronne de lauriers, on a faussement transformé au XVIe siècle baccalarius en baccalaureatus qui rappelle la baie de laurier (bacca laurea). On mettra tout le monde d’accord en adoptant la définition des cruciverbistes : « Bac : Juge d’instruction ».

Si Desproges enjoignait les jeunes Français de boycotter le bac pour plancher sur son sujet : « Qui a dit : Quand un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question ? », c’est tout de même à Paul Bocuse que revient la formule la plus décapante concernant le bac, du temps où l’on en passait deux : « Facile ! Moi aussi, j’ai mes deux bacs. Mon bac d’eau chaude et mon bac d’eau froide. »

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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