Les années d’Annie Ernaux, prix Mauriac 2008

Lecture et relecture, la chronique littéraire de Jacques Rigaud
Avec Jacques Rigaud
journaliste

Le livre d’Annie Ernaux fait resurgir tous ces souvenirs que nous gardons depuis notre enfance, enfouis dans notre mémoire. En parcourant les étapes-clés des cinquante dernières années de sa vie, Annie Ernaux permet à chaque génération de se retrouver mêlée à un moment charnière de sa vie. Jacques Rigaud fait partager sa lecture enthousiaste !

Émission proposée par : Jacques Rigaud
Référence : chr511
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_ «Il est rare qu'un livre évoque notre vie quotidienne tout au long de notre existence et qu'il le fasse de manière telle que, quel que soit l'âge qu'on a, on se sente concerné». C'est, selon les propres mots de Jacques Rigaud, ce qui se passe avec le livre d'Annie Ernaux : Les années, prix Mauriac 2008.

Pourquoi le livre Les années a obtenu le prix Mauriac

Jacques Rigaud nous explique que ce livre a retenu l'attention du jury du prix Mauriac avant tout pour son originalité. Annie Ernaux, «auteur bien connue» nous rappelle le président du jury du prix, n'écrit pas un livre d'histoire contemporaine, un roman ou encore un livre de mémoires. Elle évoque la période de sa propre existence non sous l'angle de sa vie personnelle mais sous celui du temps, la société de son temps.

Annie Ernaux est née en 1940, elle a donc traversé les périodes-clés des cinquante dernières années. A l'âge de 18 ans, elle voit la naissance de la Vème République ; à 28, elle connaît les événements de mai 68. Elle est une femme mûre au moment de l'alternance politique de 1981. Quant aux années 90, elle les décrit comme les années du désabusement.

Annie Ernaux est successivement devenue institutrice, professeur agrégée de lettres modernes. Prix Renaudot pour La Place en 1984, elle écrit à la croisée de l’expérience historique et de l’expérience individuelle.


Ainsi tout au long du livre, le lecteur arrive à se situer et à se retrouver puisque, quelle que soit son année de naissance, il y retrouve une part de lui-même.

Lire Annie Ernaux

L'histoire se déroule sous nos yeux à mesure que nous avançons dans la lecture du livre. Nous vivons les grandes dates de l'histoire de la société française comme Mai 68 : «nous nous sentions solidaires de nos cadets qui balancaient des pavés sur les CRS». Mais Annie Ernaux nous emmène aussi dans les rituels de familles, les photographies de vies à travers les repas notamment, car comme le dit Jacques Rigaud : «comment dans ce livre ne pas faire remonter à sa mémoire tous les repas de famille que nous avons vécus ?». C'est donc un retour en arrière expliqué : «Les enfants ne parlaient pas à table, on disait des récits, et puis il y avait un côté un peu solennel et paterfamilias». Ces repas de familles se tranforment complètement avec le temps. Les discussions changent, les individus aussi. On commence à évoquer les incertitudes de l'avenir, le chomâge, la précarité ; on a balayé les souvenirs anciens et on fait place aux interrogations du présent. On réchauffe à présent des surgelés et on passe du foie gras au coca-cola. La vie quotidienne reste irrémédiablement le miroir des changements de nos sociétés.

Et puis les mots aussi sont représentatifs de nos époques, le langage utilisé qui met le monde en vocables parce qu'Annie Ernaux aime les mots, classiques ou professionnels dont «résiliance, addiction, travail de deuil». Elle parle aussi de nos chansons. Qui ne se rappelle pas des fameux «le petit vin blanc» et autres «voulez-vous danser grand-mère»?

Autrefois, «toutes les choses dans la maison avaient été achetées avant la guerre, on ne jetait rien !». Quel bouleversement pour les enfants de l'après-guerre qui ont vu arriver dans les années cinquante le téléphone, l'électrophone puis la télévision et les appareils ménagers. Jacques Rigaud, lui-même, avoue se souvenir du temps où sa mère allait au marché tous les jours car «on ne pouvait pas garder les aliments.»

Au delà des rituels de nos vies quotidiennes, il y a aussi les changements de comportements et puis l'expérience de la vie, de chacune de nos vies. La condition féminine par exemple est tout à fait représentative. Annie Ernaux se souvient : «garçons et filles étaient séparés à l'époque», et puis «il y avait la honte qui menaçait, les amours interdites jusqu'au mariage ou encore l'amour clandestin». En évoquant, sans faire un livre féministe, l'évolution de la condition féminine et pas seulement à travers l'IVG, Les années retracent aussi à sa façon les souvenirs de chacun et de chacune, tout ceux qui nous étaient sortis de l'esprit, ces détails auxquels on ne prêtait plus attention. Cela constitue, selon Jacques Rigaud «le prodige de la littérature !»

En savoir plus :

Le Prix François Mauriac de la Région Aquitaine a été créé en 1985 et récompense l’ouvrage d’un écrivain de langue française qui manifeste un engagement de l’auteur dans son siècle. Jacques Rigaud est le président du jury.

[Retrouvez l'émission de Canal Académie sur le prix Mauriac 2008->http://www.canalacademie.com/ecrire/?exec=articles&id_article=3448]

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