Un orfèvre de la méchanceté en littérature : François Mauriac

La chronique Lecture et relecture de Jacques Rigaud
Avec Jacques Rigaud
journaliste

Comme il est bon d’écrire méchamment quand on a du talent ! François Mauriac excellait dans le portrait cruel, comme le démontre ici Jacques Rigaud qui ne se lasse pas de lire et de relire le fameux "Bloc-notes" : Joseph Laniel, Georges Bidault, Jean-Paul Sartre n’échappèrent pas à la plume acerbe de Mauriac.

Émission proposée par : Jacques Rigaud
Référence : chr544
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François Mauriac était, aux dires de Jacques Rigaud qui l'a connu, un "orfèvre en méchanceté" ! Dans son "bloc-notes, tant celui de l'Express que celui du Figaro, on trouve les plus cruels portraits que l'on puisse imaginer et dans cette chronique, vous allez en juger !

Voici d'abord le portrait de Joseph Laniel, président du Conseil, dans le bloc-notes de novembre 1953 (il prétendait à l'élection, par les deux chambres réunies à Versailles en congrès, de la présidence de la République) : "Il faut rendre justice à M. Joseph Laniel : en voilà un qui ne trompe pas son monde ! Ce président massif, on distingue au premier coup d'oeil ce qu'il incarne : il y a du lingot dans cet homme-là !... on ne saurait moins parler à l'imagination que M. Joseph Laniel..." Ecoutez la suite... ainsi que la notation sur René Pleven.

Sur Georges Bidault, Mauriac n'est guère tendre dans son bloc-notes du 13 juin 1962 : "le modeste professeur d'histoire, le rédacteur d'une feuille de chou, ce ne fut pas trop d'une guerre, d'une invasion, d'une révolution pour qu'il se trouvât un beau matin devant le bureau de Vergennes et qu'il fit faire antichambre aux ambassadeurs. La possession enivrée du pouvoir aura été empoisonnée dès le départ. A quoi bon convoquer les ambassadeurs et leur parler d'une voix coupante pour redevenir un petit lapin blanc qu'escamote le képi à deux étoiles de l'escamoteur ? Mais un jour, le plus beau jour de la vie de Bidault, il n'y eut plus de De Gaulle tout à coup. Ce fut la grand époque bidaultienne....Enfer et damnation !...".

Après la guerre d'Algérie, Bidault qui avait rejoint l'OAS, est amnistié. Voici ce qu'en écrit Mauriac : "Amnistié, pardonné mais exilé à jamais du pouvoir, rien ne lui sera plus, plus ne lui sera rien, il ira la nuit coller sa pauvre figure de défroqué MRP aux grilles du Quai d'Orsay. Depuis le trottoir, il verra flamber le grand lustre, il imaginera l'huissier, les secrétaires tremblantes, le bureau de Vergennes, et cette ivresse permanente du pouvoir dont aucun alcool ne nous console quand nous l'avons perdu... Alors Bidault pleure, accroché des deux mains à la grille jusqu'à ce qu'un agent partenel le prenne par l'épaule et lui dise doucement de circuler...

28 mai 1970. Dernier bloc-notes. la victime cette fois est Jean-Paul Sartre : "Sartre est bien à plaindre. Il veut aller en prison, il a soif de martyre... mais ici c'est le bourreau qui manque ; on ne le prend pas au sérieux... Sartre est pacifiant, tant qu'il sera là nous n'aurons rien à craindre. On le mettrait plutôt sous globe comme une vieille pendule revêtue depuis longtemps d'un or indélébile. Il est doux, il est lénifiant. Il mourra en odeur de sainteté..."

et notre chroniqueur ne peut s'empêcher de terminer ce méchant portrait en empruntant, un moment, la voix de Mauriac car, explique-t-il, en lisant ces textes, on pense à cette voix écorchée qui était celle de Mauriac.

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