Eugène Ionesco, une légende déjantée par Jean d’Ormesson

L’auteur d’origine roumaine aurait eu 100 ans en 2009
Jean d’ORMESSON
Avec Jean d’ORMESSON de l’Académie française,

Jean d’Ormesson a bien connu Eugène Ionesco entré trois ans avant lui à l’Académie française. Il nous conte le personnage qui aurait eu 100 ans en 2009 : un homme délicieux et un très grand écrivain.

Ils furent confrères dans les fauteuils de l'Académie. Ils furent amis dans la vie. Eugène Ionesco et Jean d'Ormesson se rencontrent dans les années 70 à un moment de véritable consécration pour l'auteur d'origine roumaine. Ce dernier n'avait jamais songé sérieusement à l'Académie. Peut-être l'espoir secret de siéger à la Commission du dictionnaire tout près des grands hommes de lettres restait-il enfoui dans son cœur. Peut-être l'envie d'être reconnu comme un classique français sommeillait-elle en lui. Le jour de sa réception, un jeudi 25 février 1971, l'auteur «non-conformiste» rétorque à un journaliste surpris : «Je suis ravi d'entrer à l'Académie car cette institution n'est pas à la mode».

Paul Morand et Wladimir d'Ormesson avaient beaucoup appuyé sa candidature. Ionesco pouvait ainsi jouir du rare privilège d'appartenir au Panthéon des Lettres.

Ainsi, les deux académiciens bavardaient, commentaient les grands sujets de leur temps, se retrouvaient chaque jeudi et cela dura 24 ans. «Je l'ai beaucoup aimé, confesse Jean d'Ormesson, j'avais une grande admiration pour lui et beaucoup d'affection.» «Ionesco apparaissait comme l'idéal pour l'Académie ! Il était très populaire avec une nuance de non-conformisme si précieux à l'Académie. Il a apporté une touche de liberté, d'imprévu, presque d'étrangeté. Un peu à la manière de Cocteau.»

© Louis Monier

La personnalité, l'écriture, le monde imaginaire d'Eugène Ionesco le pénétraient comme s'«il vivait dans un monde de légende déjanté». Son univers si particulier, «sa drôlerie, l'imprévu et sa grande bonté» lui conféraient une sorte «d'aura impénétrable». Insaisissable et classique, à la frontière de l'inconcevable académique, nul n'aurait songé le critiquer. «Je me rappelle qu'il est venu une fois à l'Académie habillé d'un pull à col roulé. Cela avait créé une espèce de sensation : on n'avait jamais vu ça et cela n'aurait pas été admis de quelqu'un d'autre. De Ionesco, c'était admis.»

Il faisait partie de la brillante phalange de Roumains venus en France dans les années 40 parmi lesquels Mircea Eliade, Constantin Brancusi, Emil Cioran, Georges Enesco, la princesse Bibesco... «Il ne faut pas oublier ces grands esprits !»

Jean d'Ormesson se souvient de quelques mots de Ionesco :

- «J'invente des choses mais c'est comme ça que je vois le monde. Je suis un auteur réaliste.»

- «Je vais vers ce qui est le plus extraordinaire et le plus imprévisible pour moi.»

Son rôle de liaison entre tradition et conformisme lui convenait bien. «A la fin de sa vie Ionesco est devenu de plus en plus classique, il a aimé de plus en plus la Grèce antique, la tradition, l'Académie. Il a été à la jointure du classicisme et de l'absurde».

Entre pièces de théâtre qui ont fait le tour du monde et reconnaissance internationale, le rythme de travail de Ionesco était effréné. Jean d'Ormesson garde un souvenir amusé à ce propos : «Nous recevons tous de nombreux courriers chaque jour mais Ionesco recevait des lettres du monde entier si bien qu'il ne savait plus où les mettre ! Cela avait même inspiré son écriture.»

En savoir plus :

- Ionesco à l'Académie française

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- on trouvera également un vif intérêt à lire les souvenirs d'Alain Besançon (de l'Académie des sciences morales et politiques) parus dans la revue Commentaire n° 129 printemps 2010. Il écrit : "Les images que je garde de Ionesco ne sont pas assez nombreuses à mon gré. Mais elles sont nettes et ne s'effaceront pas de ma mémoire. Par laquelle commencer ?".

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