Luc Ferry et le christianisme

Regard sur la philosophie, la chronique de Damien Le Guay
Avec Damien Le Guay
journaliste

Damien Le Guay nous présente deux livres issus de conférences sur le christianisme de Luc Ferry parus en 2009 : La tentation du christianisme co-écrit avec l’historien Lucien Jerphagnon et Quel devenir pour le christianisme ? co-écrit avec le cardinal Philippe Barbarin.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : chr552
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Est-il encore besoin de présenter Luc Ferry qui est, avant tout, philosophe ?

Pendant deux ans il fut le ministre du « Mammouth », avec son armée d’un million d’enseignants. Jean-Pierre Raffarin, qui l’a nommé, doit être, à n’en pas douter, un lecteur de Platon qui recommandait d’attendre que le philosophe soit au sommet de sa sagesse, au-delà de la quarantaine, pour gouverner la Cité. Depuis 2004, tout en étant président du « Centre d’analyse de la société », inventé tout exprès pour lui, il est revenu à ses premières amours philosophiques.
Il souhaite donner de la hauteur à la politique et du réalisme à la philosophie. La première est souvent terre à terre et la seconde imbue de grands principes. Belle et bonne ambition toute française.

Et voila qu’il sort deux livres, courts et de lecture aisée, issus de conférences sur le christianisme. Dialogue, pour le premier, avec Lucien Jerphagnon, grand spécialiste d’Augustin, et, pour le second, avec le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon. Dialogue ? Plutôt monologues croisés. Lucien Jerphagnon, historien de l’antiquité, examine la réception du christianisme par les Romains. Philippe Barbarin, avec un ton plus pastoral (trop sans doute pour faire des objections), est certain que l’avenir sera toujours renouvelé par Dieu. Telle est la promesse des Evangiles. Luc Ferry, lui, sous des angles différents, poursuit sa compréhension philosophique de la religion. Depuis les Grecs, il y aurait entre les deux un jeu de vases communicants. Et, depuis les Lumières, la philosophie aurait récupéré la « substantifique moelle » des valeurs chrétiennes. Mais maintenant, au bout de ce parcours, elle pourrait même empiéter sur les platebandes religieuses du « salut ».

Luc Ferry est un « honnête homme » d’obédience agnostique. Il objecte au christianisme : « c’est trop beau pour être vrai ». Trop belle la Résurrection. Trop belle la promesse d’une vie après la mort. Il reconnaît, avec probité, ce que notre époque doit au christianisme. Quelle est cette dette ? Avant tout, l’idée d’égalité démocratique et la « logique de l’amour ». Il dit à Philippe Barbarin, que la « morale moderne » (celle des Droits de l’Homme), a été inventée par le christianisme dans son souci de reconnaître l’égale dignité a priori des personnes.

Mais, ne nous y trompons pas. Ferry est certes agnostique, fasciné, à titre personnel, par l’Evangile de Saint Jean (le seul livre qu’il emporterait sur une île déserte), mais reste certain que toute l’histoire de la philosophie est une histoire de reformulation du message chrétien. Il souhaite même prolonger cette récupération, presque vampirique, avec la promotion d’une « spiritualité laïque » ou « sagesse des modernes ». S’agit-il seulement d’avoir un espace de discussion commun aux croyants et aux autres ? Non, pas seulement. Il faut, pense-t-il, trouver, un « salut sans Dieu ». Le « sacré » devient alors, ce pourquoi nous pouvons nous sacrifier - à savoir, seulement, notre entourage familial. Ferry pense que la philosophie va redevenir, avec le retrait de la religion, « une doctrine du salut, mais lucide, par la raison et par soi-même, plutôt que par Dieu et par la foi. ». Elle pourrait remplacer la religion en tout, sauf, reconnaît-il, pour « promettre sérieusement la résurrection des morts ».
Pour Ferry, le christianisme a gagné. Et c’est la raison pour laquelle nous pouvons désormais nous en passer. L’au-delà demeure en nous. Nous passerions du Dieu-Homme à l’homme-dieu.

Certes le divin de la religion et celui de la philosophie ne sont pas du même ordre. Dès lors, affaiblir le premier pour mieux l’assimiler au second est à la fois confortable et orgueilleux. Confort d’une époque chrétienne en valeur et divine sans Dieu. Orgueil de la philosophie qui croit avoir totalement siphonné Dieu. Ne faut-il pas relire Pascal quand il séparait, le « dieu des philosophes » et celui « d’Abraham, d’Isaac et de Jacob» ?

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