Du Dabuh au crocodile…

Mot pour mot, la chronique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

L’été est l’occasion rêvée de découvrir la nature ! Et pour que vous ne soyez pas perdus dans la multitude des animaux, Jean Pruvost, notre spécialiste des mots, va vous faire découvrir l’origine de quelques mots qui sont encore peut-être bien d’actualité dans certaines régions !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots542
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Dabuh ou daru ?
Dans nos vieux dictionnaires, il est des mots pout le moins surprenants. Ainsi en est-il du «dabuh » dans le Dictionnaire universel de 1690 qui est défini de la manière suivante : « Dabuh : sorte d’animal qui naît en Afrique, qui est de la grandeur d’un loup et presque de la même forme, mais il a des pieds et des mains comme un homme.» Cet animal fantastique, aux extrémités semblables aux nôtres, serait-il l’ancêtre du dahu ou du daru, l’animal imaginaire proposé aux personnes crédules pour une partie de chasse, d’où elles rentrent bien sûr toujours bredouilles ?
De fait, le dabuh en question n’a pas l’air très fréquentable malgré ses ressemblances morphologiques à l’espèce qui est nôtre ; ainsi, l’on nous précise qu’il a la fâcheuse habitude de « tirer les corps morts des sépulcres et de les manger ».
Voilà qui est sinistre, mais ce nouveau Dracula n’est cependant pas insensible à la musique : « Il est si charmé du son des trompettes et des timbales que c’est en jouant de ces instruments que les chasseurs le prennent. »

Il faut, en vérité, attendre le XIXe siècle avec le Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse, pour débusquer l’animal et apprendre qu’il n’est autre que l’hyène rayée, dabuh étant en effet un des noms qu’en Afrique du nord on donne au dit animal. À ce titre, l’hyène dont il est parlé dans le Ve Testament, n’est pas pour autant blanchie. Ainsi, Brunetto Latini, érudit italien du XIIIe siècle dans le Livre du Trésor (1265), ouvrage écrit en langue d’oïl, évoque en ces termes le charmant mammifère : « Hiène est une beste qui une foiz est masle et autre femelle, et habite en les cimetières […] et mange les corps des morts. »
Que ce carnassier africain soit le fossoyeur des bêtes blessées, soit ! mais de là à confondre ses griffes fouisseuses avec nos pieds et nos mains, le pas reste tout de même grand à franchir ! Cependant, cela s’explique peut-être simplement, si l’on se souvient que le dabuh était également le nom donné par quelques tribus berbères aux babouins. Qu’il y ait confusion entre les deux dénominations au XVIIe siècle est, à dire vrai, plus que probable.

Alors n’assimilons plus le dabuh au dahu ou daru, et continuons en toute naïveté et toute innocence de faire la chasse à ces deux derniers. Sans illusion néanmoins, parce le dahu ou daru attesté dès le XIXe siècle, correspond selon toute vraisemblance au croisement d’un mot d’origine inconnue, darutu, avec le garou, du loup garou. Alors si l’on vous invite à chasser le dahu, n’oubliez pas de vous rassurer en criant : « Loup y es tu ? »

Le chien et le crocodile

« Chien : animal fort connu qui est fidèle, reconnaissant, docile, propre à diverses choses, qui est en amour environ quatorze jours, qui naît aveugle, qui vit dix ou douze ans et qui a de l’aversion pour les crocodiles et pour les loups. » Nous devons cette merveilleuse définition au tout premier dictionnaire monolingue de la langue française, rédigé par Richelet, le Dictionnaire français contenant les mots et les choses publié en 1680. Rappelons en effet que, auparavant, les recueils lexicographiques étaient tous multilingues, le plus souvent bilingues, français-latin en particulier.

On se souvient peut-être que le Secrétaire perpétuel de l’Académie française en exercice dans les années 1970, Jean Mistler, s’était exclamé au cours de la séance publique du 19 décembre 1974, à propos de cette définition du chien dans le Dictionnaire françois, définition qui l’avait frappé : « Richelet nous apparaît ici comme un précurseur du surréalisme » !
Il est vrai que cela n’est pas sans poésie. Richelet ne nous précise d’ailleurs pas s’il s’agit de ce que l’on appelait alors un « chien de manchon », c’est-à-dire un « chien de la chambre pour le divertissement des dames, qu’on nourrit pour leur petitesse et leur beauté », ou bien d’un de ces « chiens gris » qui « savent faire tous les métiers, et courent toutes sortes de bêtes ».

Du reste, ne comptez pas trop sur le chien si, par inadvertance, vous croisez un crocodile : la fidélité du chien serait alors durement mise à l’épreuve. Au XVIIIe siècle, les Jésuites du Dictionnaires de Trévoux rappellent la sévérité des Romains, lorsque le chien manquait à la confiance dont on l’honorait : « Le chien est le symbole de la fidélité, et parce que les chiens qui étaient dans le Capitole se trouvèrent tous endormis lorsque les Gaulois y donnèrent l’assaut, et que ce fut par le cri des oyes que les Romains furent réveillés, en punition de ce manque de fidélité et de vigilance de la part des chiens, on avoit coutume à Rome de pendre un chien tous les ans, et de le montrer par la ville en cet état tandis que l’on conduisoit une oye dans une litière fort propre. »

À bon entendeur canin salut !

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
Il est également le directeur éditorial Les honorables éditions Honoré Champion !

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