La face rebelle de Vauban, mauvaise conscience du Roi Soleil

Avec Alain Monod invité par François-Pierre Nizery

Très proche de Louis XIV de par sa fonction mais également très éloigné par ses idées absolutistes, Vauban avait un côté rebelle qui lui valut la disgrâce du roi. C’est ce côté rebelle qu’Alain Monod, avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, retrace dans son livre Vauban ou la mauvaise conscience du roi. Retour sur ce parcours atypique de l’un des plus proches conseillers du Roi Soleil.

Émission proposée par : François-Pierre Nizery
Référence : pag655
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Vauban

Vauban est un personnage que l’Histoire a ancré dans toutes les mémoires sans toutefois mettre suffisamment en lumière toutes les facettes d’un homme qui était à l’évidence très en avance sur son temps. Il était à la fois l’un des conseillers les plus proches de Louis XIV et l’un des plus éloignés de sa conception absolutiste du pouvoir royal. Maréchal de France, Commissaire général des fortifications, Vauban est surtout connu comme le bâtisseur de génie et le militaire de haut rang capable aussi bien de défendre les frontières de la France en y installant des forteresses imprenables que d’attaquer les forteresses ennemies grâce à sa connaissance de leurs faiblesses.

Ce qu’on sait moins de lui, mais ce qu’aujourd’hui on redécouvre comme d’une brûlante actualité, c’est son côté rebelle, un rebelle resté toujours fidèle à son roi, mais qui ne lui a jamais caché son opposition farouche à certaines dérives de la monarchie, en faisant un véritable combat fondé sur des convictions inébranlables, aussi bien contre la révocation de l’Édit de Nantes que contre le système fiscal injuste qui régentait la France de l’époque. Ce combat lui valut, à la fin de sa vie en 1707, la disgrâce royale et le silence gêné des puissants du royaume au moment d’être mis en terre. Seule l’Académie des Sciences, dont il était membre honoraire depuis 1699, brisa ce silence et lui rendit hommage par la voix de son Secrétaire perpétuel, Bernard de Fontenelle, ce qui prouve bien s’il en était besoin la très ancienne tradition d’indépendance d’une institution née au temps du Roi Soleil.

Alain Monod est l’auteur d’un très bel ouvrage consacré à Vauban, Vauban ou la mauvaise conscience du roi, publié aux éditions Riveneuve, préfacé par Pierre Joxe, et qui a reçu en 2009 le prix Guizot décerné par l’Académie française à un ouvrage d’histoire.

En introduction à cet entretien, Alain Monod parle de ses racines, de son Lauragais, de ses sources protestantes, de tout ce qui a nourri cette « nécessité intérieure » qui l’a irrésistiblement poussé à l’écriture de ce livre. L’historien Alain Monod évoque ensuite le personnage Vauban, l’homme constamment partagé entre son esprit rebelle et son indéfectible fidélité au Roi Soleil. Puis il en vient à l’auteur du fameux Mémoire pour le rappel des Huguenots ce premier texte où l’argumentaire politique (les conséquences économiques de l’exil des protestants et l’inefficacité des fausses conversions) semble l’emporter sur la morale humaniste, pourtant très présente, comme une sorte de contournement tactique permettant de convaincre le Roi mieux que par la leçon de morale. C’est moins évident dans le projet de Dixme royale, cette audacieuse réforme du système fiscal qui valut à Vauban la disgrâce au terme de sa vie. Là le texte semble plus équilibré entre l’argumentaire politique et financier et le discours moral dénonçant la misère du peuple, qu’il a pu constater sur le terrain, et l’injustice fiscale qui le ruine. Ce rééquilibrage reflétait-il chez Vauban une sorte de prise de conscience de l’impossibilité de convaincre les puissants du royaume par la seule raison et qu’il fallait donc davantage dénoncer plutôt que chercher à convaincre ? C’est l’avocat Alain Monod qui répond. Simulant une sorte de scène de théâtre, il se met dans la peau de l’avocat de Vauban, pas celui qui défend le génie des fortifications qui a si bien servi son roi, mais le tribun politique qui s’en prend au Roi lui-même, à ses erreurs politiques et à son absolutisme. Finalement, le livre d’Alain Monod est donc bien le plaidoyer d’un homme qui tire du passé une leçon très actuelle et qui s’adresse en fait aux acteurs contemporains de la politique, comme le laisse entendre Pierre Joxe dans sa préface.

En savoir plus :

Alain Monod est avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation. Il est aussi historien de formation, ce qui l’a conduit naturellement à plaider pour une cause qu’il porte en lui depuis longtemps, surtout, comme il le raconte dans l’avant-propos de son livre, depuis ce jour où, à l’âge de 12 ans, dans son Lauragais familial, il est interpellé par l’animatrice d’une « école du dimanche » qui lui parle du dernier ouvrage rebelle de Vauban, son projet de « Dixme royale » dont sa famille avait conservé précieusement un exemplaire, qui aurait dû, comme les autres, être brûlé sur ordre du roi en 1707 puisqu’il remettait en cause tout le système fiscal de l’époque.

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