L’Essentiel avec... Erik Orsenna, de l’Académie française

L’académicien évoque des moments essentiels de sa vie
Avec Jacques Paugam
journaliste

Erik Orsenna, de l’Académie française, a son franc parler : il lance ici quelques cris d’alarme, notamment sur l’incapacité à maîtriser la langue, défend les SMS, se révolte contre la tyrannie de l’opinion et l’obscurantisme, tout en relatant quelques moments essentiels de sa vie... De la légèreté chez Orsenna ? Non. Mais le goût de la vie, la passion du travail, et un fond de stoïcisme, sûrement !

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab572
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Erik Orsenna a été élu à l'Académie française en 1998, succédant à Jacques-Yves Cousteau. Il a publié, en cette fin d'année 2009, le 4ème volume intitulé de sa série à grand succès sur la langue française : "Et si on dansait ?". Il répond aux sept questions, toujours les mêmes pour tous les invités de cette série, posées par Jacques Paugam.

1 ) Dans votre carrière, dans votre itinéraire, quel a été, à vos yeux, le moment essentiel ?

- "J'ai trente ans, en 1977, je viens de publier mon deuxième roman "La vie comme à Lausanne" et aux éditions du Seuil, je croise une dame que je ne connaissais pas, un peu bougonne, Geneviève Dormann ! Le lendemain, elle m'appelle, elle m'avait lu dans la nuit et veut me soutenir pour le prix Roger Nimier"...

Quelques semaines après, il reçoit le fameux prix, occasion pour lui de croiser au jury, Dominique Rolin, Antoine Blondin, Jean d'Ormesson, Félicien Marceau, Paul Guimard, Jean Namur, etc...

Etre admis comme un jeune pair, lui qui, depuis l'âge de 7-8 ans, avec une enfance difficile, rêve d'être écrivain... Son bonheur commence ce jour-là et tout s'est enchaîné : après sa thèse, après Paris-I, il devient maître de conférences à l'Ecole Normale, rencontre Jacques Attali, et puis, en 1981... La vie s'enchaîne sur un moment de bonheur : "Je crois très profondément que le bonheur est bon pour la santé ! Il faut cultiver le bonheur avant que le malheur ne nous rattrape !".

Economiste avant tout

Ses engagements politiques ? "Mon premier souvenir adulte, c'est la guerre d'Algérie, je me passionne pour l'évolution de ce pays ; je décide alors d'apprendre l'économie pour comprendre le monde et les nouvelles indépendances. Et je rejoins le Parti Socialiste Unifié (avec Rocard) dont je deviens militant. Et quand François Mitterrand fait appel à moi, je réponds oui. Non pas par tentation des palais nationaux, mais pour exercer mon métier, l'économie du développement".

Et l'Elysée ? Et Mitterrand ?

Et notre invité d'évoquer quelques souvenirs de son travail à l'Elysée, ses illusions, ses déceptions aussi. Il découvre le travail en cabinet qui lui permet d'excercer avec passion son métier d'économiste. Et puis il rencontre François Mitterrand : "Un personnage absolument formidable, qui manque beaucoup aujourd'hui, compliqué, difficile, parfois cassant, mais quelle grandeur de vue, quelle manière d'excercer ce magistère de président, quelle culture, quel sens du temps, et donc des hiérarchies !"

Certes, Orsenna l'a aidé à rédiger ses discours mais surtout à examiner tous les domaines de la culture (il était son conseiller culturel) où il était urgent de prendre d'importantes décisions.

En 1988, Orsenna reçoit le Prix Goncourt pour "l'Exposition coloniale".
"J'avais depuis longtemps l'idée d'un gros roman. Je fais toujours des projets à long terme ! J'ai mis sept ans à l'écrire, tous les matins. Mon éditeur au Seuil, Jean Cayrol, me dit que je peux faire mieux... Et pendant 6 mois, j'ai recommencé, et tout refait. Avec le Goncourt, j'ai acquis la liberté de dire qui j'aime ou pas... Cela m'a donné un immense soulagement".

Séducteur Erik Orsenna ? "Je gagne du temps, n'étant pas beau, mais j'arrive à mes fins. Je suis d'une terrible obstination et je travaille comme un fou. Le temps est mon allié." Cette dernière constatation permet à notre invité de détailler son rapport au temps et l'importance du temps en démocratie, pour éviter la tyrannie du court terme où l'émotion qui l'emporterait sur la raison...

2) Quel est l'essentiel à dire sur votre domaine d'activités ?

" Deux choses qui, au fond, reviennent à une seule : la langue française et la connaissance. La langue est le premier des liens qui unissent les membres d'une communauté et un chef d'oeuvre collectif. Durant douze siècles, des millions de gens ont prêté la main à ce chef d'oeuvre qu'est la langue française. Moins on prête d'attention à la langue commune, moins forts seront les liens qui unissent les individus".

Erik Orsenna rappelle que Res Publica, c'est la chose commune. Il se rend sans arrêt dans les classes, fait des championnats en rédigeant des lettres de réclamation ou des lettres d'amour.. et il gagne ! pourquoi ? "Parce que j'ai plus de mots pour argumenter". Le voilà qui souhaite faire entrer dans le Dictionnaire de l'Académie des verbes comme "kiffer" ou des expressions comme "j'ai la haine". Laissons-le s'expliquer ! Par exemple sur l'intérêt des SMS (il en envoie trois par jour à ses deux enfants).

Erik Orsenna parle aussi de l'usage de la langue, des outils modernes de communication, de l'écrit incontournable, et de l'exclusion de ceux qui ne maîtrisent pas la langue (presque un jeune sur cinq à la fin de la 6 ème). "Comment peut-on appartenir à une communauté si on ne parle pas sa langue ?". L'exclusion génère toutes les autres formes de désespoir actif ou passif.

Deux cris d'alarme !

Evoquant son expérience personnelle, il raconte que la mère de ses enfants, enseignant le droit en 4 ème année, rencontre un étudiant sur deux qui ne maîtrise pas la langue. Premier cri d'alarme.
Et le second : l'obscurantisme. Jusqu'alors, celui qui savait jouissait d'un certain respect. Maintenant il est considéré comme membre d'un complot et en état d'infériorité par rapport à celui qui a une opinion. Tant pis pour les savants, leurs connaissances ne valent rien contre les opinions. "La tyrannie de l'opinion est terrible car c'est de l'obscurantisme".

Et le travail !

Notre invité expose ensuite sa manière de considérer le travail : Toute société qui abandonne la valeur du travail court à son déclin. L'important n'est pas le loisir (ce disant, Erik Orsenna, ne rejoint pas les idées socialistes, et il s'en explique ici, notamment sur les 35 h). Et il ajoute qu'il conviendrait également de ne pas mépriser les jeunes en les faisant travailler sans les payer dans des stages inintéressants... par exemple, pendant que d'autres gagnent des millions en jouant !

3) Quel est l'essentiel sur l'évolution de la société ?

En résumé, sont importants : La République, dont la langue ; le savoir et non pas l'opinion ; et le travail pour donner un sens à sa vie.

4) quelle est la plus grande hypocrisie de notre société ?

L'argent. "J'ai envie d'avancer une sorte de proverbe : Plus vous êtes inutile, plus vous gagnez d'argent"...

5 ) Quel est l'évènement ou la tendance qui vous laisse le plus d'espoir ?

D'abord ce pasage du G7 au G20. Malgré l'absence de l'Afrique, on commence à aller vers le mieux. On prend conscience des questions à régler à l'échelle planétaire.

Autre événement qui a frappé notre invité, mais en partie négativement : la création de l'Union pour la Méditerrannée. Il avait pris connaissance d'un dossier chez Roland Dumas pour la création d'une Union pour la Méditerrannée occidentale et seulement occidentale. Et cette proposition semblait raisonnable. Quand on est trop large, on est pris en otage par le conflit du proche-orient. La situation devient bloquée. Par exemple, la réunion des ministres de l'eau, question que connaît parfaitement Erik Orsenna, est bloquée par le litige entre la Ligue arabe et Israël.

Evoquant la Serbie, la Slovénie, Erik Orsenna en vient à méditer sur les conflits, sur l'urgence de les arrêter dès le début, immédiatement."Le vernis de civilisation est très mince, il faut agir rapidement".

6) question plus personnelle : quel a été le plus grand échec de votre vie et comment l'avez-vous surmonté?

L'échec vient de ce qu'il a été élevé dans l'idée de n'aimer qu'une seule femme... Cela n'a pas été le cas !

Erik Orsenna a-t-il la bougeotte ? Il court le monde, mais reste aussi chez lui à Paris ou en Bretagne. Il souffre d'une maladie : ne pas savoir répondre non à la question "pourquoi pas ?" (nom du bateau de Charcot, rappelle-t-il).

Passion des femmes, passion de la haute mer : la liberté, l'obstination et l'humilité à la fois.

Incarne-t-il une certaine idée de la "légèreté" française ? Mais qu'est-ce qu'être léger ou être profond ? Il est frappé du manque de curiosité des gens qui n'ont guère envie d'aller ailleurs. Or, lui, il se considère comme un passeur, un promeneur, qui emmène ailleurs. Il ne se dit pas créateur. D'où sa passion pour la science. "Quand on aime les histoires qui racontent le monde, la science, c'est une histoire vraie à un moment donné".

Pas de frontières pour lui entre le plaisir et le travail. Mais il faut faire au minimum l'effort d'apprendre. C'est ainsi qu'il a appris les grands courants, les forêts, l'astronomie. "Il faut casser la chappe de plomb de l'ignorance". Quel bonheur pour lui de pouvoir parler ou poser des questions aux académiciens des sciences ! Et laissez le raconter son bonheur d'être à l'Académie française et de cotoyer, à l'Institut, tous les autres académiciens, représentants du plus haut savoir.

Quel personnage de roman aurait-il aimé être ? Fabrice del Dongo de Stendhal ? mais il semble si différent de lui ! "Lui, c'est un vrai homme léger qui ne réfléchit pas ! voilà ce qui me manque !!!".

Existe-t-il un art de vivre à la Orsenna ?

- "Regarder quels sont ses regrets et les tuer les uns après les autres. Je suis totalement stoïcien".

Le point-virgule à l'image d'Orsenna ?

Dans "Si on dansait ?", il évoque le point-virgule. Car le point-virgule est un passeur, il ne sépare pas, il laisse la continuité mais aussi l'initimité à chacun. Erik Orsenna se sent-il "point-virgule" ? Oui.
C'est dit.
Il avoue deux passions absolues : Apprendre. Transmettre.

Heureux, Orsenna ? Certes, mais il n'est pas pour autant passé au travers des difficultés et des souffrances. Une recette ? "Quand on y peut rien, on n'y peut rien. Dans les moments les pires, et il en a connu beaucoup, il y a toujours une ou deux secondes où on peut être heureux. En botanique, les plantes nous apprennent que les "animaux" que nous sommes n'ont pas le monopole du vivant et que, pendant des milliers d'années, elles font du sable ou de l'humus. Elles prennent leur temps".

7) Et Dieu ?

Il a répondu un jour : "Dieu, je n'en ai pas besoin". Une telle phrase lapidaire justifie qu'on lui demande de s'expliquer. Il est, dit-il "plus agnostique qu'athée". La théologie lui est totalement étrangère. Car le réel fait, là, défaut. Mais il y a, dans la vie, une règle de base : dire à ceux qu'on aime qu'on les aime.

Cette émission fait l’objet d’une destinée à ceux et celles qui veulent améliorer leur approche de la langue française dans notre Espace Apprendre.

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