Rémi Brague, membre de l’Académie des sciences morales et poitiques, le philosophe qui prend au sérieux le « fait religieux »

Avec Damien Le Guay
journaliste

Le philosophe Rémi Brague, spécialiste des religions, a reçu en décembre 2009, le Grand Prix de Philosophie décerné par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Il venait tout juste d’être élu à l’Académie des sciences morales et politiques.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : hab575
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_ Rémi Brague trace son sillon et, ce faisant, éclaire notre horizon. De livres en livres, il éclaire, mieux que d’autres, le « fait religieux » qui est détesté par certains (tel Michel Onfray) ou ignoré voire caricaturé par la plupart. Pourquoi ? Comment se comprendre, soi-même ainsi que nos sociétés, sans comprendre la composante religieuse – ô combien constitutive de notre humanité ?

Notre professeur, qui maîtrise suffisamment son savoir pour ne pas en faire étalage, est comme un poisson dans l’eau des trois religions dites monothéistes. Après avoir étudié Aristote, il a publié, en 1992 un remarqué Europe, la voie romaine qui restitue aux « racines » de l’Europe toute leur originalité dans son souci de s’approprier ce qui lui est étranger. Puis, il nous a donné les deux premiers opus d’un triptyque : La sagesse du monde (Fayard, 1999 – désormais en livre de poche), sur notre manière de comprendre l’univers que nous habitons, puis, en 2005 La loi de Dieu (Gallimard) sur l’évolution de la loi quand elle vient de Dieu. Reste un troisième volet, à venir, sur l’époque moderne qui tente de se doter d’une loi sans foi.

I/ Qui est Rémi Brague ?

Élève à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm en 1967, il devient agrégé de philosophie en 1971, puis soutient sa thèse de doctorat en 1976, sous la direction de Pierre Aubenque. Professeur à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, où il dirige le centre de recherche « Tradition de la pensée classique », Rémi Brague enseigne aussi à la Ludwig-Maximilian-Universität de Munich (Allemagne), où il occupe la chaire Romano Guardini ; il y enseigne l'histoire du christianisme européen.

Il a été aussi John Findlay Visiting Professor à l'Université de Boston (États-Unis). Son domaine d'étude est considérable : bien qu'officiellement spécialiste des philosophies médiévales juive et arabe, il a d'abord travaillé sur la philosophie grecque ; d'abord sur Platon, puis sur Aristote. Sa thèse de 3e cycle portait sur le Ménon de Platon (publiée sous le titre Le Restant). Sa thèse de doctorat d'État est une étude sur la notion de monde chez Aristote. C'est ensuite que sa recherche s'est tournée sur le Moyen Âge arabe, juif et latin. Il a publié sur saint Bernard, Razi et Maïmonide. Rémi Brague est aussi un commentateur de l'œuvre de Heidegger et un fin lecteur de Leo Strauss.

L'ouvrage qui l'a fait sortir du cadre confidentiel de l'expertise philosophique érudite est Europe, la voie romaine, traduit en plusieurs langues. Son travail actuel se développe en un triptyque qui concerne d'abord la représentation de la notion de monde (La sagesse du monde), ensuite la manière dont la pensée s'est représentée historiquement la loi de Dieu (La loi de Dieu) ; le troisième volume, à paraître, portera sur les manières dont l'homme a cherché historiquement à s'émanciper de la nature et de Dieu.

Il est élu à l'Académie des sciences morales et politiques depuis le 7 décembre 2009 au fauteuil précédemment occupé par Jean-Marie Zemb.
Rémi Brague parle le français, l'anglais, l'espagnol, l'allemand, le grec, l'arabe et l'hébreu...

II/ Biographie

- Le restant. Supplément aux commentaires du Ménon de Platon, Vrin / Les Belles Lettres, Paris, 1978, 247 p. - 2e éd. inchangée, Vrin, 1999.
- Du temps chez Platon et Aristote. Quatre Études, P.U.F., Paris, 1982, 181 p. - 2e éd. inchangée, 1995.
- Aristote et la question du monde. Essai sur le contexte cosmologique et anthropologique de l'ontologie, P.U.F., Paris, 1988, 560 p.
- Europe, la voie romaine, Criterion, Paris, 1992, 189 p. - 2e éd. revue et augmentée, ib., 1993, 206 p. - 3e éd. revue et augmentée, Folio-essais, NRF, Paris, 1999, 260 p.
- La sagesse du monde. Histoire de l'expérience humaine de l'univers, Fayard, Paris, 1999, 333 p.
- Herméneutique et ontologie, Mélanges en l'honneur de P. Aubenque à l'occasion de son 60e anniversaire, sous la dir. de Rémi Brague et Jean-François Courtine, P.U.F., Paris, 1990, XXI-388 p.
- Saint Bernard et la Philosophie, P.U.F., Paris, 1993, 195 p.
- Die Macht des Wortes, Eranos, N.F., Bd. 4, Wilhelm Fink, Munich, 1996, 347 p.
- La loi de Dieu : Histoire philosophique d'une alliance, Gallimard, Paris, 2005.
- Introduction au monde grec : études d'histoire de la philosophie, Éditions de la Transparence, 2005.
- Au moyen du Moyen Age : Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam, Éditions de La Transparence (désormais Champs-flammarion), 2006
- Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres, Flammarion, 2008 (désormais Champs-flammarion)
- Image vagabonde. Essai sur l'imaginaire baudelairien, Éditions de La Transparence, 2008.
- Pour une métaphysique de base in Regards sur la crise. Réflexions pour comprendre la crise… et en sortir, ouvrage collectif dirigé par Antoine Mercier avec Alain Badiou, Miguel Benasayag, Dany-Robert Dufour, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay…, Paris, Éditions Hermann, 2010.

Traductions
- Maïmonide, Traité d'éthique (Paris: Desclée De Brouwer, 2001), 186p.
- Leo Strauss, Maïmonide. Essais recueillis et traduits, P.U.F., Paris, 1988, 376 p.
- Maïmonide, Traité de logique, DDB, Paris, 1996, 158 p.
- Shlomo Pinès, La liberté de philosopher. De Maïmonide à Spinoza, DDB, Paris, 1997, 484 p.
- Thémistius, Paraphrase de la Métaphysique d'Aristote, Livre Lambda, Paris, Vrin, 1999, 175 p.
- Razi, La Médecine spirituelle, Flammarion, Paris, 2003.

III/ son livre : Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres

Dans ce dernier livre, il reprend, après les avoir retravaillés, des articles publiés dans diverses revues – dont Communio dont il est un des fondateurs - et qui porte tous non pas sur le « Dieu chrétien » mais sur celui des chrétiens pour mieux le présenter, l’interroger et en voir les traits essentiels. Il fait là œuvre salutaire de clarification. Avant tout, explicite-il avec brio, il faut sortir de l’ambiguïté de certaines expressions toutes faites comme : « les trois monothéismes », « les trois religions d’Abraham » ou « les trois religions du livre ». Pourquoi ? Elles proviennent toutes de bons sentiments et d’une mauvaise connaissance religieuse. Tous les monothéismes ne sont pas religieux. Ils ne sont pas que trois. Et les « trois Dieux » ne sont pas les mêmes. Car si le christianisme reconnaît les deux monothéismes et si le judaïsme reconnaît le Dieu des musulmans, inversement, l’Islam a plus de mal à reconnaître les deux autres monothéismes. Abraham est-il un ancêtre commun ? Rien n’est moins sûr. L’Islam se considère être la seule « religion d’Abraham ». Quant au « livre » il n’est pas le même pour les uns et les autres. Rémi Brague nous dit, avec son délicieux sens des formules : « La religion d’Israël est une histoire qui aboutit à un livre, le christianisme est une histoire racontée dans un livre, l’Islam est un livre qui aboutit à une histoire. »

Quant au seul «Dieu des chrétiens», Rémi Brague montre bien que son unité est liée par la charité et que sa trinité tient à la logique de cette même charité : nous ne possédons qu’en donnant. « La Trinité est la manière même dont Dieu est un » dans une invitation au partage et au don. Au sujet du « silence de Dieu » il faut considérer que le Verbe, une fois qu’il s’est donné, n’a plus rien à dire et donne la parole aux hommes. Il se donne et ne nous demande rien.

Écouter la chronique que Damien Le Guay a consacré à cet ouvrage : Rémi Brague : Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres

Rémi Brague, Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres, éditions Flammarion

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