L’Essentiel avec... Yves Coppens, de l’Académie des sciences

L’académicien évoque des moments essentiels de sa vie
Yves COPPENS
Avec Yves COPPENS
Membre de l'Académie des sciences

Pilier de la paléontologie contemporaine française, Yves Coppens, à l’Académie des sciences depuis 1985, reste aux yeux du grand public comme le codécouvreur, en 1974, de la fameuse Lucy, ce fossile éthiopien qui a révolutionné notre perception des origines de l’homme. Il est également le nouveau président du conseil scientifique de Lascaux. Il revient sur son parcours, ses réflexions et ses espoirs.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab597
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1 - Dans votre itinéraire, votre carrière, quel a été à vos yeux le moment essentiel ?

« Ça a été bien entendu mon arrivée en Afrique ; le prétexte pour aller y travailler est apparu dans mon labo en 1959 : des géologues avaient trouvé des vertébrés fossiles qu’ils avaient envoyés au Muséum d’histoire naturelle, et la personne qui les avait reçus n’ayant pas le temps de s’en occuper a cherché dans l’établissement quelqu’un de plus disponible. Il m’a trouvé : comme je travaillais sur les éléphants pour ma thèse et qu’il y avait des dents de proboscidiens dans ces restes envoyés du Tchad, je n’ai pas eu de peine à les déterminer. C’était une très belle découverte : la découverte de fossiles du Pliocène[[Pliocène : époque du Néogène qui s’étend de -5,3 à -1,8 millions d’années.]], ce qui était peu fréquent à l’époque, et la première fois en Afrique centrale. »
« Mon contact avec des géologues m’a permis de partir dès janvier 1960 ; j’avais alors 25 ans, et ça a été pour moi le grand départ d’une carrière africaine qui est toujours ininterrompue. »

52 fragments d’os : Lucy

Sur ses premières « fouilles » en Bretagne :
« J’ai toujours été attiré par la préhistoire, par l’imaginaire qui accompagne la préhistoire, l’archéologie et la paléontologie, et j’ai des souvenirs de petites collections qui ont commencé à mon domicile breton chez mes parents, probablement à l’âge de 6 ou 7 ans. »
« Ma sœur n’a pas les meilleurs souvenirs de cette époque, car je réquisitionnais la famille le dimanche pour les emmener sur toutes les terres cultivées, et je les déployais en tirailleurs pour parcourir le terrain labouré et recueillir tout ce qui avait pu apparaître à la suite du labour. Ces dimanches n’étaient pas des meilleurs pour elle, mais il me fallait du personnel… »

Sur Lucy :
« Lucy était importante à l’époque car c’était une ‘’pré-humaine’’, la plus ancienne connue à l’époque, et notre équipe à Paris avait reconnu sur ses traits anatomiques qu’elle était en même temps bipède et arboricole : elle marchait sur ses pattes arrière, comme nous mais pas tout à fait, et grimpait aux arbres, comme ceux d’avant mais pas tout à fait. Cette double locomotion était une nouveauté. »

Son bref passage à la tête du Muséum d’histoire naturelle ne laisse pas un souvenir impérissable à Yves Coppens, peu enclin à diriger une machine administrative aussi lourde. Il est en revanche toujours aussi enthousiaste sur sa place au Collège de France :

L’Entrée du Collège de France, à Paris

« Le Collège de France, ce sont cinquante-deux monstres d’indépendance côte à côte ; on peut poursuivre sa recherche comme on l’entend, la recherche alimentant l’enseignement. J’avais à la fois la recherche, qui est évidemment le fond de mon bonheur, et par ailleurs la possibilité de l’exposer immédiatement devant un public qui me rendait bien mon enthousiasme. C’était, et c’est toujours, un lieu privilégié. »

2 - Dans le domaine d’activité qui est le vôtre, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?

« Je suis très frappé par la force par l’union. Les physiciens ont su se grouper, grouper des esprits, des crédits et des réflexions, et nous autres paléontologistes mettons plus de temps à le faire. Les fossiles humains sont rares, font de leurs découvreurs des vedettes et il y a quand même un grand paquet d'egos à la tête de cette discipline, ce qui rend la fédération des recherches plus difficile à réaliser. »

Sur l’évolution humaine :
« Le développement culturel a évolué à l’ombre de l’évolution biologique, de façon insidieuse, et ce n’est qu’il y a 100 000 ans que les tendances se sont inversées : le développement culturel devient tel qu’il va dépasser le développement naturel et le laisser en plan. Lorsqu’une population se trouve agressée par un agent extérieur, au lieu de réagir biologiquement en prenant le temps, elle va réagir culturellement, de manière beaucoup plus rapide ; et à partir du moment où elle a trouvé la parade culturelle, elle n’a plus besoin d’évolution naturelle. »

Sur le débat scientifique :
« Les médias ne donnent pas aux scientifiques tout à fait le temps qu’il leur faudrait pour débattre ; les arguments sont raccourcis, contractés, et dans cette mesure-là le débat n’est pas ce qu’il pourrait être. »
« La science, la recherche, est l’essentiel du moteur économique et intellectuel d’un pays. Un pays qui ne fait plus de recherche ne fait que des pas en arrière. »

3 - Dans notre société aujourd’hui, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?

Sur la mondialisation :
« Elle me plaît bien, cette manière dont la société humaine se développe, et comme sur le plan technologique le nombre de supports s’est élargi rapidement, et la communication à travers le monde est immédiate quel que soit l’endroit où l’on puisse se trouver.
Cela permet aux gens de se parler ; je pense que se parler est essentiel, et que se sourire est important. C’est d’autant plus possible qu’on se transmet aujourd’hui des messages sous forme écrite mais aussi sous forme iconographique.

Pour Yves Coppens, la mondialisation est un prolongement logique et fascinant de l’évolution humaine

Je trouve cette évolution intéressante, intelligente, et tout à fait dans le sens du génie de l’humanité, que j’apprécie et j’admire. Je suis très admiratif de l’humanité. »

Sur le recul permis par le métier de paléontologiste :
« Prendre de la distance donne l’épaisseur du temps, place et situe l’homme. Les questions de situation et d’avenir sont inhérentes à la nature humaine, et le premier homme conscient s’est posé les questions que je me pose moi-même, rien de nouveau à cet égard. C’est une sorte d’angoisse existentielle à apaiser d’une manière ou d’une autre ; ce discours scientifique est une des manières de l’apaiser, en expliquant d’où l’on vient, ce qu’on fait là, vers où on a l’air d’aller, et que d’après l’expérience du passé on peut imaginer que dans l’avenir l’évolution ira vers le plus compliqué et le mieux organisé. »

4 - La plus grande hypocrisie de notre temps ?

« Peut-être les déclarations tout à fait récurrentes de gens qui disent : "À partir de maintenant, tout va être transparent, clair et on ne cachera rien". Je trouve cela faux, car ce n’est pas possible, et dommage, car c’est une des qualités de l’homme de pouvoir... non pas dissimuler, mais choisir. Je ne suis pas convaincu du tout qu’il faille tout dire, tout dévoiler. C’est un manque de discernement, vers l’abstraction d’une des grandes qualités de l’esprit humain, qui a cette possibilité de peser, de mesurer, de faire montre de nuances et de finesse.
Non, par pitié, ne dites pas tout. D’abord ce n’est pas vrai, et puis ce n’est pas la peine, parce que ce n’est pas sérieux…
»

5 - L’événement ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

« Cette facilité qu’ont les gens d’aller se rencontrer. » Yves Coppens dit avoir « grande confiance en l’humanité » et clame la nécessité de conserver la diversité culturelle, car langages, chants, poésies, gastronomies, « tout ce qui est superflu et en fait essentiel », constituent la richesse du patrimoine du monde.

6 - Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment avez-vous tenté de le surmonter ?

« J’ai une prédisposition à l’optimisme et à la joie de vivre. Mais je dirais le manque de temps pour réfléchir ; on galope, on est actif, suractif, on enchaîne les activités sans y penser parce qu’on en a l’expertise, mais c’est dommage qu’on n’ait pas suffisamment de temps d’arrêt. »

7 - Aujourd’hui, quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?

« Faire de mon fils un homme. » Kipling n’aurait pas mieux dit.

En savoir plus :

- La fiche d'Yves Coppens sur le site de l'Académie des sciences

- Site de l'Académie des sciences

- Site du Collège de France

À écouter aussi sur Canal Académie :

Parcours d’un paléontologue

Yves Coppens : les origines de l’homme, le bouquet des ancêtres

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