Jean Clair : Voyage initiatique sur Balthus et le thème de la mort

L’académicien, rencontré au Festival de Fès, décrypte "Le passage du Commerce Saint-André" de Balthus
Jean CLAIR
Avec Jean CLAIR de l’Académie française,

Jean Clair, de l’Académie française, était présent au Festival de Fès 2010 et intervenait lors des rencontres culturelles. Le thème qu’il avait choisi pour l’occasion : Le voyage initiatique à travers la mort. Propos et explications recueillis sur place par Emilie Joulia.

Cette émission a été enregistrée en juin 2010 au Festival de Fès et au moment de l'exposition Crime et châtiment dirigée par Jean Clair au musée d'Orsay. Au micro de Canal Académie ce dernier évoque le thème de la mort autour du voyage initiatique.

Sur un tableau énigmatique de Balthus...

Parler du voyage initiatique pour Jean Clair peut aussi relever de la mort. C'est bien elle qui est à l'origine de pléthores de tableaux de maîtres comme nous avons pu le voir au musée d'Orsay lors de l'exposition Crime et châtiment au milieu de l'année 2010. Géricault, Goya, et tant d'autres, ont puisé dans le secret de la mort et des mystères du lugubre, leur inspiration.

A l'occasion des rencontres culturelles du Festival de Fès 2010 Jean Clair a donc tout naturellement évoqué le voyage à travers la mort. Pour illustrer ses propos il avait choisi un tableau particulièrement curieux («l'un sans doute de ses plus beaux») du peintre Balthus : Le passage du Commerce Saint-André. Ce tableau évoque la guillotine. «La signification cachée, cryptée de ce qui n'est pas simplement un instrument mis au service d'une mort égalitaire, n'y aurait-il pas quelque autre enjeu qui relèverait d'une initiation ? Peut-être aussi un caractère mystique ou encore satanique. Je voulais en retrouver la trace de manière très inattendue et extravagante dans le tableau d'un peintre très éloigné des horreurs révolutionnaires, un homme suave et délicat.»

Le passage du Commerce Saint-André (1952-1954) par Balthus
Un tableau rempli de mystères...

- Le passage du Commerce Saint-André est un tableau peint en 1952 juste avant que Balthus ne quitte Paris car la ville était devenue inhabitable, trop bruyante, le calme d'autrefois avait disparu. Cette vue a priori banale est une vue du passage du Commerce tel qu'il existe toujours aujourd'hui et qui va du Carrefour de l'Odéon à la rue Saint-André des arts, tout près de l'atelier de Balthus, cour de Rohan. Dans cette scène de rue nous pouvons remarquer le peintre lui-même de dos avec sa baguette sous le bras. Cela semble une représentation on ne peut plus paisible, un moment où il y avait encore une poésie parisienne, une tranquillité qui allait bientôt disparaître.

Une initiation à la révolution

L'indice de départ est au centre du tableau où nous voyons un petit animal qui se promène. Est-ce un chien ? Jean Clair nous explique que si nous regardons de plus près nous remarquons que ce petit animal est très curieux : tout blanc, bouclé, il n'a pas un museau de chien. A l'évidence il ressemble plutôt à un agneau. Que fait-il dans un passage parisien ? «Le mystère commence à se lever lorsqu'on se rappelle que la guillotine fut expérimentée en ce lieu même pour la première fois ! Et non pas sur un homme mais sur un agneau !»

L'académicien nous rappelle que la rue du passage Saint-André était le haut lieu de la révolution française. Il y avait au n°8 une imprimerie où pendant la révolution Marat faisait imprimer l'Ami du peuple. Les révolutionnaires les plus extrémistes s'y réunissaient. Juste à gauche du numéro 8 il y avait une serrurerie qui était aussi une forge (indiquée par une clé). «C'est dans cette forge qu'on avait forgé la première lame de la première guillotine (la forge existait encore dans les années 50).»

- «De l'autre côté de la rue, au n°9, il existait un facteur de clavecins, Tobias Schmidt, l'homme qui a véritablement inventé la guillotine. En effet, la guillotine existe depuis la renaissance. Il introduit en 1790 un élément fondamental à la guillotine : une petite clé jusque là utilisée dans la fabrication des clavecins. Elle permet de libérer un objet pesant et de le faire remonter (la lame en l'occurrence) de façon automatique. Cela se fait à distance par un déclic qui a ensuite été appliqué à la guillotine.»

Jean Clair, de l’Académie française photographié par Louis Monier
© Louis Monier

Le très érudit Jean Clair nous plonge dans une histoire mystérieuse passionnante à suivre dans cette émission. Notre curiosité en partie rassasiée ira se jeter à corps perdu dans la peinture de Balthus et de tous les peintres qui continuent de voyager avec la mort !

- Jean Clair, membre de l'Académie française depuis le 22 mai 2008, au fauteuil de Bertrand Poirot-Delpech (39e fauteuil).

- Jean Clair : Crime et Châtiment

- Sous la direction de Jean Clair, Crime et châtiment, Catalogue d'exposition, Musée d'Orsay / Editions Gallimard, 2010, 49 €

- Jeunesse
TDC, Collectif, Crime et châtiment, Scérén / Musée d'Orsay, 2010,
4,70 €

- Ferdjoukh Malika, Smartnovel en collaboration avec le musée d'Orsay, Peint au couteau, gratuit sur le site du musée

En savoir plus :

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