L’Essentiel avec... Alain Besançon, membre de l’Académie des sciences morales et politiques

L’académicien évoque des moments essentiels de sa vie
Avec Jacques Paugam
journaliste

L’académicien Alain Besançon, élu en 1996 dans la section « Morale et Sociologie » de l’Académie des sciences morales et politiques a consacré l’essentiel de sa carrière à trouver les clés de l’énigme soviétique et totalitaire. Ancien communiste repenti, c’est avec clarté et franchise, et sans se départir de son goût pour le débat et la provocation, qu’il répond sur ces sujets.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab595
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Alain Besançon

1 - Dans votre itinéraire, votre carrière, quel a été à vos yeux le moment essentiel ?

Lorsque Alain Besançon décida, en claquant la porte du Parti Communiste en 1956, de consacrer ses travaux à l'histoire de la Russie, il s'engagea autant dans le procès d'une idéologie criminelle que dans celui d'une génération leurrée par une « intoxication » intellectuelle.

« Il y a un moment où le train s’arrête et où il faut descendre. Si on ne descend pas, on risque d’être bloqué, le train reprenant de la vitesse. »

« C’était de l’intoxication idéologique. Personne ne nous disait que c’était idiot ou très mal. À Sciences-Po où j’étais, le marxisme était enseigné par un communiste, l’Histoire de la Russie par un communiste, la géographie par un communiste. »

Démarche atypique pour un historien que d'essayer de comprendre ce qu'il lui est arrivé. Tout en abordant la question rationnellement, Besançon n'en développe pas moins des analyses métaphysiques et théologiques de ces deux énigmes du mal qu'on été le communisme et le nazisme, en rappelant que tout totalitarisme est d'abord gnostique.

« Le communisme pose des questions métaphysiques auxquelles il faut répondre. Et ceux qui ont bien compris le communisme étaient en général d’anciens communistes, comme Souvarine, ou des gauchistes, comme Orwell, et jamais des gens de droite. »

2 - Dans le domaine d’activité qui est le vôtre, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?

Alain Besançon aborde ici ses études sur l'image et l'Église, en développant sa théorie sur les trois tentations modernes de l'Église catholique.
La discussion ne manque pas de s'engager sur les échanges et rapports de forces avec l'Islam.

« Qu’on sache au moins ce qu’est l’Islam, ce qui oblige les chrétiens à savoir ce qu’est leur propre religion – ce qu’ils ne savent plus, parce qu’on ne le leur enseigne plus. »

« Le moment où musulmans et chrétiens se sont le mieux entendus, c’est au moment des croisades ; parce qu’il y avait là des idéaux chevaleresques communs ».

Pour Besançon, le léninisme est à l’origine de tout système totalitaire

3 - Dans notre société aujourd’hui, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?

« Il y a quelques années, lorsque le monde était polarisé entre notre monde et le monde communiste, j’avais l’impression de comprendre les événements. Nous sommes maintenant dans un monde beaucoup plus mobile, et depuis cette révolution des années 1960, nous sommes dans un monde fluide avec des nouveautés dont nous ne connaissons pas l’impact. »

« On a l’impression que l’on attend quelque chose. Je trouve que notre monde occidental est un monde étrangement… calme. Il n’y a rien dans les journaux. Peut-être tant mieux, d’ailleurs. »

4 - La plus grande hypocrisie de notre temps ?

« Le refus d’appeler les choses par leur nom. La plus grande hypocrisie de ce genre, c’est cette dissymétrie établie entre le nazisme, qui serait un mal absolu, et le communisme, qui serait un mal relatif – d’ailleurs on ne dit pas le communisme, on dit le stalinisme. On veut laisser une certaine honorabilité au communisme. Il y a là une considérable dissymétrie de la mémoire. »
« Il n’y a qu’à voir la Corée du Nord, le seul pays à être vraiment dans la logique communiste intégrale : le pays entier est dans un camp de concentration. »

Alain Besançon : "Che Guevara n’est pas un type intéressant"

« Che Guevara n’est pas un type intéressant, à part le fait qu’il était photogénique ; c’était une brute primaire sans intérêt. C’est un mythe occidental qui a pris une allure christique. »

5 - L’événement ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

« Je souffre, en tant que vieil homme, d’une espèce de chute de talent en France. Je vois du talent en Angleterre, en Italie, aux États-Unis, et n’en vois en France ni dans la littérature, ni dans la peinture, ni dans la caricature… C’est effrayant. La France a une littérature de professeurs depuis la guerre. »

« J’ai l’impression que la jeunesse française a appris à se méfier des gourous. On est sorti de ce sous-marxisme qui a régné en France et qui continue de baigner l’enseignement. »

6 - Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment avez-vous tenté de le surmonter ?

« J’ai tout de même eu la chance géographique de naître à Paris, dans un milieu qui a veillé sur mon instruction et ma santé. L’échec, c’est de ne pas avoir tiré parti de ces privilèges. J’ai fait des études insuffisantes qui m’ont obligé à reprendre toute mon éducation par la suite. »

Quant à Raymond Aron, que Besançon ne définit pas comme un homme de droite, il est l'homme qui lui a transmis mieux qu'un savoir : une conduite intellectuelle.
« Celui qui m’a montré ce qu’est une vie intellectuelle bien conduite et comment on doit la mener, c’est Raymond Aron, que j’ai rencontré en 1968 à l’âge de 36 ans, et qui a été pour moi un exemple. En matière de tenue intellectuelle, j’ai eu le sentiment que j’avais affaire à un esprit noble et à un homme noble. »

7 - Aujourd’hui, quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?

« Je n’ai jamais cherché le succès ; je ne l’ai pas eu, d’ailleurs, et tant mieux ! D’abord, être reconnu comme un homme raisonnablement intelligent par des gens que je considère comme intelligents ; c’est-à-dire essentiellement mes amis.
Ensuite, si je peux, résoudre des problèmes ; le communisme était pour moi un problème, la situation de l’Église et de l’Islam en étaient d’autres, et j’ai cru y donner des solutions dont j’étais content. On verra. On mettra sur ma tombe : "Pouvait mieux faire".
»

En savoir plus :

La fiche d'Alain Besançon sur le site de l'ASMP.

Elu en 1996 dans la section Morale et philosophie, il siège, à la suite d'un transfert, et depuis 1999, dans la section Philosophie.

Quelques-unes de nos émissions avec Alain Besançon :

Mai 68 selon Alain Besançon

Benoît XVI devant les trois tentations de l’Eglise

Le malheur du siècle : Communisme - Nazisme - Shoah

À noter qu'Alain Besançon rédige fréquemment des articles percutants dans la revue "Commentaire" (fondée par Raymond Aron et dirigée actuellement par Jean-Claude Casanova). La revue Commentaire fête ses 30 ans !

À ne pas manquer pour découvrir un autre talent d'Alain Besançon : l'écriture dans un roman fort amusant. Emile et les menteurs

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