Les prévisions océanographiques : nouvel outil pour prévenir les catastrophes

par Pierre Bahurel, océanographe, une conférence du Bureau des Longitudes

Réaliser un bulletin océanographique ? Rien de plus simple pensez-vous... Pourtant, il aura fallu 20 ans à une jeune équipe de chercheurs français avant d’obtenir des résultats reconnus par leurs pairs et avec des applications révolutionnaires pour prévenir les catastrophes. Cette technique s’appelle l’océanographie opérationnelle et permet notamment de faire des prévisions de courants océaniques. Explications en compagnie de son concepteur Pierre Bahurel, lors d’une conférence donnée au Bureau des longitudes en novembre 2010.

_ Au cours de sa conférence donnée au Bureau des longitudes, Pierre Bahurel revient sur une belle aventure humaine ; celle d’une équipe de jeunes chercheurs français qui a débuté dans les années 1990 qui dès le début a cru à une idée forte : réaliser des prévisions océanographiques pour prévenir les catastrophes et aider les professionnels en mer.

L’océanographe Pierre Bahurel, initiateur du projet Mercator, revient sur toutes les étapes de mise en place de ce nouvel outil prévisionnel : la récolte d'information, la modélisation, la mise en évidence des applications et le développement à l'échelle mondiale.

Il nous l'explique sa démarche : « C’est dans les années 1990 que l’on a observé des tourbillons à la surface des océans, grâce aux observations satellite. Nous avons donc eu l’idée de croiser les résultats satellite avec les données récupérées en mer grâce à des sondes essaimées un peu partout ». L'hypothèse se révèle bonne : les données ainsi croisées donnent des résultats beaucoup plus précis. Des micro tourbillons se dessinent à l’intérieur même des premiers tourbillons révélés par les satellites.

« Nous avons lancé Mercator en 1995 avec notre premier bulletin océanographique qui nous pris 18 mois à réaliser ! » précise Pierre Bahurel.

Les premiers résultats arrivent en 2001 et sont plus que concluants. En plus des courants de surface et des courants révélés profondeur, les chercheurs sont aussi capables de décrire la température de surface de l’Atlantique et sa salinité. « Nous avons rapidement tout mis à disposition du public sur Internet, mais il a fallu deux ans pour que nos recherches soient prises au sérieux » observe-t-il.

Les observations en mer sont constituées de  3600 points qui fournissent chaque jour des millions d’informations

Un événement malheureux va cependant donner une légitimité aux recherches de notre jeune équipe : le naufrage du Prestige près des côtes de Galice en 2002. Météo-France commence à entrevoir les applications possibles de l’océanographie opérationnelle. En effet, en cas de marée noire, la connaissance des courants permet de connaître l’échéance à laquelle les nappes de pétrole atteignent les côtes.

Exemple de sonde déposée au fond de l’océan pour mesurer la température et les courants

Le système Mercator se développe. Il est utilisé pour surveiller la Méditerranée et le golfe du Mexique. Dans cet espace, l’océanographie opérationnelle offre une surveillance de l’énergie dans le golfe et permet de prévenir les événements de type Katrina.

En octobre 2005, un système de prévision mondial des océans est ainsi mis en place dans le cadre d’une coopération internationale. Les recherches se poursuivent pour affiner encore un peu plus les résultats. Des îlots sont posés un peu partout en mer pour récolter des informations pendant trois ans. L’observation satellite de Poséidon est remplacé par Jason 1. Des centres de prévision océaniques se créent aux Etats-Unis, au Japon, au Canada, en Chine et au sein de l’Union européenne.

On peut désormais surveiller
- les courants puissants du Pacifique
- le grand courant du Kuroshio au Japon
- les méandres et les tourbillons au sud de l’Afrique
- les glaces arctiques au Nord du Canada.

Courant du Kuroshio au Japon, modélisé et affiné par le système Mercator

Et les applications sont désormais clairement identifiées :
- en Méditerranée Mercator peut être utile pour le routage des navires et éviter ainsi de naviguer à contre-courant, occasionnant un surcoût de carburant
- en Afrique du sud et au large de Madagascar, Mercator peut être précieux pour estimer la dangerosité des forages au fond des océans
- dans le golfe du Mexique, on peut imaginer des systèmes de monitoring permanent pour prévenir les catastrophes
- en Arctique Mercator permettrait de surveiller la couverture de glace
- en mer Baltique Mercator offrirait une vision plus générale de la qualité de l’eau

Observation des tourbillons en mer à 100 mètres de profondeur en Afrique du sud

Mercator, c'est aujourd'hui 500 000 observations par jour, 700 000 milliards d’informations par jour et 500 Go d’informations sur l’océan par bulletin ! L'équipe française qui s'est depuis agrandie à l'échelle européenne, vient de recevoir en 2010 un chèque de 33 millions d’euros pour poursuivre ses investigations.

Nos ambitions pour les années à venir sont simples : continuer les observations et développer des outils pour observer ce qui se passe sur les côtes, relier le physique à la société. L’énergie thermique des océans commence par exemple à intéresser EDF. Cette énergie pourrait être exploitée à la Réunion, à la Martinique, et à Tahiti.

Écoutez l'intervention de Pierre Bahurel océanographe, directeur de Mercator Océan et coordinateur de MyOcéan. Et téléchargez le support visuel ci-dessous pour suivre ses explications.

En savoir plus :

- MERCATOR OCEAN, centre de prévision océanique
- le projet européen MyOcean
- les mesures in situ
- l’altimétrie spatiale
- Le projet PREVIMER

Cette conférence était organisée par Le Bureau des Longitudes. Retrouvez le programme des conférences mensuelles sur leur site internet.
- Pour connaître son histoire et son rôle, écoutez : Le Bureau des longitudes, quatre siècles au service de sciences de l’univers et de l’astronomie

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