Bergson : de la conversion religieuse à la conversion philosophique

Entretien avec Catherine Chalier, auteur de l’essai Le désir de conversion
Avec Damien Le Guay
journaliste

Henri Bergson est décédé le 4 janvier 1941. Ce philosophe d'origine juive est mort chrétien et catholique de cœur, sans avoir voulu être baptisé, par solidarité avec ses frères persécutés. Sa conversion religieuse fut précédée de conversions philosophiques. Catherine Chalier nous éclaire sur cet épisode important de sa vie. Philosophe, professeur à l’université de Nanterre, spécialiste du judaïsme (et de Lévinas en particulier), elle a écrit Le désir de conversion.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag895
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L'ouvrage de Catherine Chalier traite des conversions mystiques et religieuses de 5 grandes figures du XXe siècle, à savoir : Henri Bergson, Franz Rosenzweig, Simone Weil, Thomas Merton, et Etty Hillesum (qui a été l'objet d'une autre émission sur Canal Académie.

Bergson est né juif mais son éducation juive fut «de peu de durée » selon ce qu’il en dit lui-même. Sa première « conversion » selon les mots qu’il utilisa, remonte à 1880 quand, dans son travail philosophique, il découvre la durée. Il tentera, de différentes manières, de saisir dans la durée vivante l’origine des choses. Il finira, aussi, par se convertir à « l’intuition » - qu’il considère comme un retournement vers la source, vers ce qui est toujours neuf et imprévisible. L’idée de « Dieu » n’apparait qu’en 1907, dans L’évolution créatrice. Il le définit come le « centre » qui est « une continuité de jaillissement », « vie incessante, action, liberté ». Cette conception rejoint une religiosité naturelle, sans attache particulière, sans théologie spécifique.

Henri Bergson en 1927

Il faudra attendre 1932, dans Les deux sources de la morale et de la religion, pour que Bergson se tourne vers les religions conçues comme des « cristallisations de l’élan créateur ». Il considère même, parmi toutes les religions, un avantage particulier du christianisme. Il opère un passage du « clos » (à savoir la religion d’Israël qui reste du coté du national) à l’ouvert avec le souci d’une justice pour tous. Seul le christianisme, dit-il, rend « agissante l’idée de la fraternité humaine ». L’amour chrétien « n’est pas simplement l’amour d’un homme pour Dieu, c’est l’amour de Dieu pour tous les hommes ». Bergson place au-dessus de tout Le sermon sur la montagne (les Béatitudes).

En 1937 il écrit son testament (qui ne sera rendu public qu’après sa mort en 1941) où il indique que « mes réflexions m’ont amené de plus en plus près du catholicisme où je vois l’achèvement complet du judaïsme. » Et il ajoute « je me serais converti, si je n’avais vu se préparer depuis des années (en grande partie, hélas, par la faute d’un certain nombre de juifs entièrement dépourvus de sens moral) la formidable vague d’antisémitisme qui va déferler sur le monde. Mais j’espère qu’un prêtre catholique voudra bien, si le cardinal archevêque de Paris l’y autorise, venir dire des prières à mes obsèques». Selon lui, cette « faute d’un certain nombre de juifs » est relative au communisme, constate Catherine Chalier qui a puisé ses sources dans la biographie du philosophe établie par F. Worms et P. Soulez (Bergson, PUF, 2002).
Bergson indique donc ici à la fois sa conversion, morale et cordiale, au catholicisme, et sa fidélité au peuple juif.

Le désir de conversion est paru aux Editions du Seuil, en 2011 (276 pages).

En savoir plus :

- Apprenez-en plus sur Henri Bergson et son œuvre en visitant le site de l'Académie française.

- Canal Académie propose plusieurs émissions sur Henri Bergson et sur Simone Weil. Tapez leur nom dans notre moteur de recherche.

- Retrouvez le premier entretien de Catherine Chalier avec Damien Le Guay : Etty Hillesum, une conversion mystique en plein coeur de la Shoah

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