L’actualité du Timée de Platon par Bertrand Saint-Sernin

Retransmission de la séance de l’Académie des sciences morales et politiques du 9 mai 2011
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Le philosophe Bertrand Saint-Sernin, de l’Académie des sciences morales et politiques, a choisi de parler de L’actualité du Timée, l’un des derniers dialogues de Platon, devant ses confrères lors de la séance du 9 mai 2011. Comment ce texte fondateur de la philosophie antique a-t-il inspiré des siècles durant les Pères grecs, les théologiens latins et musulmans du Moyen Âge, les philosophes du XIXe et du XXe siècles ?

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : es615
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Expliquer la longévité du Timée de Platon (env.428-348 av. J-C), tel est l'objectif de la communication de Bertrand de Saint-Sernin qui voit dans ce texte un trésor inépuisable. Le Timée englobe ce qu'en langage moderne, on pourrait appeler un « programme » constitué d'une physique mathématique de l'univers, une explication causale des processus naturels, une cosmologie et une anthropologie médicale, politique et religieuse. Cette audace démesurée selon ses mots, n'obéit pas à une théorie des idées qui dissocierait les modèles des choses et de la chair des choses.

Bertrand Saint-Sernin, Académie des sciences morales et politiques, 9 mai 2011
© Canal Académie

« Le lecteur voit un penseur qui se demande », dit Bertrand Saint-Sernin « : Comment des êtres finis et fragiles peuvent-ils penser l’univers ? Jouent-ils leur destin en une seule partie ou en plusieurs, à travers des réincarnations ? Comment se combinent en eux une âme divine (leur « daimôn ») et une âme mortelle (leur organisme, leur psychisme, leur « moi ») ? Et, surtout, peuvent-ils, sur ces questions décisives, tenir autre chose qu’un « discours vraisemblable » ? L’homme peut-il accéder à la vérité – et, si oui, comment ? – dans une réflexion sur l’univers, la politique, le divin ?
Enfin, on trouve dans le Timée une mystique de la connaissance : connaître, c’est voir l’univers comme Dieu le voit, puis retourner dans la caverne pour l’expliquer aux hommes.
»

Dans sa communication, l'académicien contextualise le choix de Platon pour la physique mathématique. Le Timée contient donc l'acte de naissance de la physique mathématique. Comment dire l'univers que l'intelligence humaine ne peut comprendre ? Bertrand Saint-Sernin détaille les courants de la philosophie des sciences de l'époque moderne dans la postérité de Platon et rappelle combien Platon lie physique, mathématique et anthropologie. Il explique : « Platon ne distingue pas entre sciences « dures » et sciences « molles » : cosmologie et anthropologie doivent être unifiées à l’aide d’une modélisation mathématique. Il y a à cela des raisons « ontologiques » : les êtres vivants et, parmi eux, les hommes, sont faits d’éléments empruntés à l’univers et qui y retourneront après la mort. »

« Comment le « programme » du Timée a-t-il pu résister pendant plus de deux millénaires, alors que la science, depuis l’Antiquité grecque, a connu une histoire complexe et mouvementée ? » Comment Kepler et Galilée ont-ils assumé cet héritage ?

Bertrand Saint-Sernin s'attache en conclusion à définir l’idéal platonicien
« comme un enchaînement de programmes en devenir, difficile à mettre en œuvre : les croyances, en effet, sont aussi des instruments de pouvoir. Les ébranler, c’est substituer à l’autorité de la tradition le pouvoir de la raison. Que des individus comme Descartes tentent et réussissent cette expérience, soit ! Mais que des sociétés ou des États s’y lancent, c’est plus risqué. Or il y a chez Platon, une injonction à le faire. C’est le thème des Lois. Le Timée explicite les difficultés médicales et psychiques de l’effectuation d’un tel programme. Le remède qu’il prescrit, remède que les Stoïciens reprendront, consiste à réformer le psychisme en le mettant en harmonie avec les rythmes de l’univers. C’est ainsi que les lecteurs chrétiens du Timée le comprendront.

... Il s’agit de mettre entre parenthèses le moi naturel, jugé trop fragile. Saint Augustin analyse ce processus dans De Vera Religione : en un premier temps, il faut « rentrer en soi-même » ; et si l’on découvre que sa nature est variable, se dépasser pour ancrer son être au feu de la raison, c’est-à-dire en Dieu. C’est dire que la « mystique de la connaissance », celle de Platon ou celle du christianisme, ne s’achève pas en « religion de l’Humanité » à la manière d’Auguste Comte.
»

Pour en savoir plus

- Bertrand Saint-Sernin sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques, biographie

Parmi ses livres

- Whitehead. Un univers en essai, Vrin, 2000, 208 p.
- Philosophie des sciences (I) & (II), Daniel Andler, Anne Fagot-Largeault et Bertrand Saint-Sernin, Gallimard, coll. Folio, 1333 p., sept. 2002.
- La raison, PUF, coll. « Que sais-je ? », juillet 2003.
- Le rationalisme qui vient, Gallimard, coll. Tel, jv 2007.
- Blondel, un univers chrétien, Paris, Vrin, 2009


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