Le compositeur Michaël Levinas reçu à l’Académie des beaux-arts

Retransmission de la séance sous la Coupole
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Michaël Levinas a été reçu au sein de l’Académie des beaux-arts, sous la Coupole de l’Institut de France, le 15 juin 2011. Accueilli dans la section composition musicale, par son confrère François-Bernard Mâche, il a prononcé l’éloge de son prédécesseur Jean-Louis Florentz, selon l’usage : entre son sens des traditions et ses créations audacieuses, l’univers musical d’un concertiste et d’un compositeur de renommée mondiale.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : cou552
Télécharger l’émission (60.25 Mo)

Canal Académie vous propose d'écouter la retransmission de cette cérémonie qui s'est déroulée le 15 juin 2011. Michaël Levinas a été élu au fauteuil de Jean-Louis Florentz, le 18 mars 2009, à la suite du décès de cette personnalité majeure de la scène musicale, en 2004, à l'âge de 56 ans. Le fauteuil longtemps déclaré vacant, a trouvé un successeur de renommée internationale en la personne de Michaël Levinas, connu pour son indéniable talent de pianiste et de compositeur.

André Cazalet interprétant  Lune de sang pour cor seul (1983) de Jean-Louis Florentz, 15 juin 2011, Institut de France
© Canal Académie

Reçu par son confrère, le compositeur François-Bernard Mâche, au sein de l'Académie des beaux-arts, pour son installation deux ans plus tard, la cérémonie s'est déroulée devant un public fourni, attentif aux discours et à l'interprétation très remarquable par André Cazalet de Lune de sang, pour cor seul (1983), une pièce musicale de Jean-Louis Florentz.

La cérémonie de la remise de l'épée de Michaël Levinas s'est déroulée le jour même dans les salons du Pavillon Comtesse de Caen, à l'Institut. Entouré de sa famille, de ses amis et de nombreux philosophes. Le nouvel académicien a reçu de son ami Bruno Clément, professeur des Universités et ancien président du Collège International de Philosophie, son épée d'académicien conçue et forgée par l'artiste plasticienne Mâkhi Xenakis, la fille du compositeur, à qui il avait donné carte blanche.

Epée de l’académicien Michaël Levinas, 15 juin 2011, Institut de France
© Canal Académie


Le pommeau figure, tel Janus, d'un côté le visage de Iannis Xenakis, père de Mâkhi, architecte et musicien, membre de l'Académie des beaux-arts (1921-2001); de l'autre, celui du philosophe Emmanuel Levinas (1906-1995), son père. Sur l'étoffe du fourreau de l'épée inscrite en hébreu, la fameuse parole du Décalogue Tu ne tueras point. Cette épée guide le dialogue des muses tout en rendant hommage aux voix de la musique, de l'architecture et de la pensée; un hommage rendu par le fils et par la fille aux pères.

François-Bernard Mâche, membre de l’Académie  des beaux-arts, 15 juin 2011,  Coupole de l’Institut de France
© Canal Académie


Le compositeur et musicologue François-Bernard Mâche, élu à l’Académie des beaux-arts le 18 décembre 2002 au fauteuil de Iannis Xenakis, justement, a prononcé le discours d'installation (selon la terminologie de l'Académie des beaux-arts) de son nouveau confrère. Né en 1935 à Clermont-Ferrand, François-Bernard Mâche fréquenta jadis la classe d’Olivier Messiaen au conservatoire de Paris, comme Michaël Levinas quelques années plus tard. C’est à l’âge de dix ans que Michaël Levinas (né en 1949) réussit le concours d’entrée en ces lieux, remportant de nombreux prix. Il se distingue par l'obtention du Premier prix du concours international d’improvisation de la ville de Lyon à 21 ans.

En 1973, il participe à la fondation de l'ensemble de musique contemporaine l'Itinéraire, en rupture avec le néo-sérialisme de Boulez. Il compose des pièces musicales aux alliances rares et inédites, explorant tous les sons sans se priver d'instruments acoustiques, comme pour Pièce pour piano et clavecin sur des thèmes de boîtes à musique en 1977.

Michaël Levinas, membre de l’Académie des beaux-arts, 15 juin 2011, Institut de France
© Canal Académie


Michaël Levinas est pris en main par le « grand pédagogue Lazare-Lévy », condisciple, entre autres, de Ravel et de Pierre Monteux. Sous sa tutelle, relève François-Bernard Mâche, l’association « de l’instrument et de la composition marquent sans doute fortement la personnalité du jeune musicien ». Il compose sa première œuvre en 1970, au titre provocateur : L’Orateur muet, pour instruments et bande. Un titre qui, selon Mâche, « suffirait à indiquer que Les Chaises de Ionesco et plus largement la dimension théâtrale font partie de sa culture… ». Une dimension que l’on retrouve notamment dans Les Rires du Gilles, ainsi que dans le « son essoufflé, fêlé, traqué, qui caractérise beaucoup de ses œuvres ». La théâtralité figure aussi dans ses spectacles musicaux ; « C'est à l'opéra que, paradoxalement, tend toute son œuvre instrumentale », dit lui-même Michaël Levinas. Il est l'auteur de quatre opéras, La Conférence des oiseaux (1985), Go-gol (1996), Les Nègres (2003) et La Métamorphose (2001), d’après Kafka.

Michaël Levinas emprunta en parallèle la voie de la composition, et celle du piano, sans renoncer à de hautes exigences intellectuelles, à la demande de son père qui l'incita, conformément à sa pensée philosophique, à une pratique instrumentale de virtuose. Il apprit, en effet, à jouer très tôt du piano sous l’influence de sa mère lituanienne, « musicienne formée au conservatoire de Vienne », dont toute la famille restée en Lituanie fut massacrée pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père avait toujours voulu qu'il mène de front une double carrière de pianiste et de compositeur. Une performance rare réussie par Michaël Levinas ! Musique et philosophie sont liées chez le nouvel académicien. L'œuvre de son père, le philosophe Emmanuel Levinas (1906-1995), l'accompagne dans son écriture musicale même. Il se soumet ainsi pour ses propres compositions musicales, à une conceptualisation préalable. En 2006, pour le centenaire de la naissance de son père, Michaël Levinas écrit un texte intitulé La Chanson du souffle, une épiphanie du visage. Comme le souligne François-Bernard Mâche dans son discours, Michaël Levinas « relie expressément ce thème à celui du "visage de l’autre", où Emmanuel Levinas voyait le lieu d’une rencontre essentielle avec l’infini et la transcendance ».

Le nom de Michaël Levinas s'est imposé sur la scène musicale internationale pour ses interprétations et ses enregistrements du Clavier Bien tempéré de Bach, pour Les études pour piano de Scriabine, celles de Ligeti et pour l'intégrale des sonates de Beethoven. Professeur titulaire de la classe d'analyse au Conservatoire National supérieur de Paris, il donne vie aux partitions qu'il explore avec une acuité hors-norme étant à la fois transmetteur, théoricien et créateur.

Citation de Michaël Levinas :

« Il s’agit… d’un son qui est aussi l’au-delà du sonore, à savoir l’essence même du musical. Un son qui dans son acceptation de sa mortalité est déjà mélodie, ce que j’appelle Arsis et Thésis ; une mélodie qui inspire et expire, un son qui transcende sa matérialité sonore dans sa mort, une épiphanie du visage. ... Le mélodique, c’est aussi le son qui sait mourir : ce que j’appelle la fêlure du son, l’essoufflement, l’expiration, son savoir mourir serait cet instant sublime et névralgique où le son transcende sa pure matérialité ainsi que les lois qui l’ordonnent ».

Michaël Levinas, à l’issue de son discours d’installation au sein de l’Académie des beaux-arts, 15 juin 2011, Institut de France,
© Canal Académie


Dans son discours à l'occasion de son installation, Michaël Levinas a retracé le parcours de Jean-Louis Florentz (1947-2004), son prédécesseur au fauteuil III de l’Académie des beaux-arts.

En 1971, au Conservatoire de Paris, Florentz faisait ses débuts dans la classe d’Olivier Messiaen. C’est à cette occasion que Michaël Levinas, lui-même élève du maître, le rencontra. Expérience intense, mais brève : « Il avait le regard rimbaldien, comme rivé vers des espaces rêvés, un ailleurs qui ne nous regardait pas. »

Cet ailleurs, c’est l’Afrique, où cet « ethnologue universitaire » formé chez les frères maristes de Saint-Chamond-Izieux veut « aller entendre le chant des oiseaux africains ». Son maître veut l’en dissuader (« Attention aux musiques répétitives ! »), mais « devinant la posture profonde de l’élève, il lui aurait répondu : "Cher ami, partez, allez en Afrique, voyagez ! Voyagez au sud !" ».

Bien qu’éloigné de l’Europe, Florentz participe aux mouvements esthétiques des années 1970-80, dont l’aventure de l’Itinéraire et de la musique spectrale._

Ce fut pour ce long voyage en 1972 qu'il prit pour la première fois, l’avion – un Boeing 707 – en direction du sud, vers cette Afrique qui depuis longtemps le faisait rêver. Il fut sensible, surtout, au « chant du réacteur ! » Ancien élève du groupe de recherche musicale (GRM) de Pierre Schaeffer au Conservatoire, il savait « entendre la musique dans ce que tout le monde croyait être du bruit : entendre la nature, les oiseaux, les sons industriels ».

Ses premières œuvres : Madbaru, Ti-ndé, impressionnent. Mais « Florentz cherche une autre voie et une autre vie ». Dès les années 1980, c’est la rupture avec la génération de l’Itinéraire et la « musique contemporaine ». C’est au cours de cette période qu’il crée le Magnificat et aussi Les Laudes, qui marquent son retour à son instrument de prédilection, l’orgue. Il s’inscrit alors dans la lignée des Fauré, Duruflé, Alain et bien sûr d'Olivier Messiaen.

Son œuvre, héritage de ses années africaines, sera dès lors empreinte de rite et de sacré, de traditions orales aussi. Adepte d’un « dépaysement exotique, Florentz s’inscrivait aussi dans une tradition artistique européenne caractéristique du XXe siècle. Un siècle marqué par l’ethnologie ».

La question du rite et du sacré pose également celle du rapport de Florentz à la chrétienté. « Enraciné dans la terre et la culture française, Florentz ne se considérait sans doute pas seulement comme un Occidental mais il le reste cependant par certaines de ces références et de ces allégories ». Michaël Levinas rappelle qu'il se référait ainsi souvent à la Torah, Ecritures et oralité sont consubstantielles à la théologie juive. Levinas s’interroge : « Y aurait-il eu chez Florentz une tentative de synthèse entre la tradition orale et la tradition écrite des deux continents », l’Europe d’un côté, l’Afrique de l’autre ?

« Comme Messiaen et comme moi-même, Florentz croyait au merveilleux en musique ». Michaël Levinas rapproche le merveilleux de l’extraordinaire, un mot qu’employait son père Emmanuel Levinas pour « évoquer le souffle qui inspire les livres ». Quant à lui, Michaël Levinas appelle cela « la recherche de la clef du merveilleux, le poétique, ou bien encore la révélation du buisson ardent », ajoutant : « L’idée musicale serait cette révélation presque surnaturelle qui transcende l’œuvre ».

«J'attends chaque jour ce miracle de la création musicale»


Pour en savoir plus

- Michaël Levinas sur le site de l'Académie des beaux-arts
- François-Bernard Mâche sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Laurent Petitgirard sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Jean-Louis Florentz sur le site de l'Académie des beaux-arts

Michaël Levinas, entouré de ses proches, 15 juin 2011, Institut de France,
© Canal Académie

Cela peut vous intéresser