"La métamorphose de Narcisse" de Dalí, membre associé étranger de l’Académie des beaux-arts

Le mystère du "double obsédant"

Mystérieux, riche de références et de métaphores, le tableau de Dali intitulé "la métamorphose de Narcisse", s’inspire bien sûr du mythe de Narcisse mais avec une telle originalité qu’on y perçoit un mystère que les élèves et les enseignants de l’école d’art Koronin tentent de percer.

Intitulée « La métamorphose de Narcisse », cette huile sur toile a été réalisée en 1937 par le peintre catalan.

La métamorphose de Narcisse de Salvator Dalí


Le reflet de Narcisse n'est pas là où on l'attend, c'est-à-dire à la surface de l'eau, mais il est représenté par cette sculpture proche du héros grec.
La composition de cette sculpture ressemble étrangement à la composition de Narcisse. Par exemple le bras de Narcisse est dans la même position que l’index de la main, l’œuf représente la tête de Narcisse.

Pour mieux comprendre la composition de ce tableau et la présence de cette main sculptée, il faut aller chercher dans la vie du peintre espagnol quelques références personnelles. En effet, toute sa vie, Dalí a été hanté par la mort de son frère aîné, celui que Dalí surnommait "le double obsédant". L’œuf symbolise la vie intra-utérine, la vie antérieure. D'ailleurs, le fait de voir une fleur sortir d'un œuf fait référence à l’épisode tragique de la mort de Narcisse qui est transformé en fleur (le narcisse) ; cet œuf porte donc en lui l'allégorie de la mort prématurée. D'autres symboles morbides envahissent cette toile. Quelques exemples :

Le chien, qui sans doute, accompagnait Narcisse à la chasse, est en train de dévorer une charogne, laissant des traces de sang sur le sol.

Les fourmis, très présentes dans l'univers de Dalí, sont des insectes qui symbolisent la mort, elles sont en rapport avec l’idée de décomposition, de décadence.

La fissure qui se trouve sur l'ongle de l'index, ainsi que le craquèlement de l’œuf sont aussi des éléments qui soulignent cette impression morbide présente dans ce tableau.

La sauterelle, presque cachée en arrière-plan du tableau, dans les montagnes, est un animal qui représente la peur chez Dalí.

Deux mondes opposés

Détails de l’oeuf d’où éclot la fleur

L'arrière-plan de la toile est aussi très riche en symboles. On peut y voir la confrontation de deux univers contraires, avec du côté de Narcisse, l'expression d'un univers dionysiaque, où dansent des naïades nues, cherchant à séduire celui qui n'est amoureux que de lui-même. De l'autre côté, c'est-à-dire derrière le double de Narcisse se trouve un échiquier sur lequel trône une statue, représentant sans doute une muse. Cet échiquier renvoie à l’ordre, à la mesure, au Dieu Apollon. Le tableau est donc coupé en deux avec en son milieu : la route des possibles qui serpente jusqu'aux pieds des montagnes du cap de Creus, un lieu où le peintre aimait se rendre et que l’on retrouve dans beaucoup de ses tableaux.

Salvador Dalí avait accompagné son tableau d'un "poème paranoïaque" dont voici un extrait :

«Narcisse, dans son immobilité, absorbé par son reflet
avec la lenteur digestive des plantes carnivores,
devient invisible.
Il ne reste de lui
que l’ovale hallucinant de blancheur de sa tête,
sa tête de nouveau plus tendre,
sa tête, chrysalide d’arrière‐pensées biologique,
sa tête soutenue au bout des doigts de l’eau,
au bout des doigts
de la main insensée,
de la main terrible,
de la main coprophagique,
de la main mortelle
de son propre reflet.
Quand cette tête se fendra,
Quand cette tête se craquèlera,
Quand cette tête éclatera,
ce sera la fleur,
le nouveau Narcisse,
Gala –
mon narcisse.»


En savoir plus:

- Lire l'histoire rapportée dans Les Métamorphoses d'Ovide.
- Écouter l'opéra Écho et Narcisse de Gluck (créé en 1779)

- Écoutez l'académicien (académie des inscriptions et belles-lettres), archéologue et professeur au Collège de France Denis Knoepfler : La patrie de Narcisse, quand l’archéologie rencontre le mythe

- Retrouvez la série d'émissions réalisée avec les élèves et les enseignants de l'école d'art Koronin.

- "L’allusion à Narcisse", un poème d’Henri de Régnier, de l’Académie française

- Le mythe de Narcisse dans l’oeuvre musicale de Benjamin Britten , par Danièle Pistone, correspondant de l’Académie des beaux-arts

- Le mythe Prométhée dans la musique, par Danièle Pistone, correspondant de l’Académie des beaux-arts

- D'autres artistes se sont inspirés de ce thème, notamment Jan Cossiers (1600-1671) (tableau conservé au Musée du Prado à Madrid) ; Anton Schoonjans "Narcisse se regardant dans une source" (vers 1700) ; Le Caravage (vers 1597-1599) (voir dans notre émission "L’allusion à Narcisse", un poème d’Henri de Régnier, de l’Académie française ; Poussin "Narcisse et Écho" (au Louvre) ; et même le caricaturiste Daumien "Le beau Narcisse" (BNF).

- Consultez les autres émissions sur , sur Canal Académie.

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