Jean-Robert Pitte : Une famille d’Europe, une saga à travers le Vieux Continent

Le géographe, de l’Académie des sciences morales et politiques, raconte les périples de ses ancêtres
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Jean-Robert Pitte présente son livre Une Famille d’Europe, un récit historique sur les pérégrinations des différentes branches de sa famille depuis le XVIIIe siècle. Il est membre de l’Académie des sciences morales et politiques et spécialiste de géographie culturelle et de gastronomie. Il rappelle cette phrase de Byron : «  C’est étrange, mais vrai ; car la vérité est toujours étrange ; plus étrange que la fiction

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : pag949
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_ « Ma généalogie, nous dit Jean-Robert Pitte, est un écheveau d'infortunés destins européens, cabossés par les intolérances et les guerres que les peuples de ce continent n'ont cessé d'entreprendre, brisés par les frontières qu'ils n'ont cessé de dresser entre eux, mais aussi par les fractures sociales et les égoïsmes. »

« Je dois coucher sur le papier la saga familiale »

Jean-Robert Pitte s'intéressait depuis longtemps au destin de toutes les branches de sa famille parce qu'il y avait, en particulier, une partie très intrigante: celle d'Oskár Réthy, son grand-père paternel hongrois. « Je porte le patronyme normand (viking) de ma grand-mère paternelle, précise Jean-Robert Pitte. Que s'est-il passé ? Avec mes frères, nous avons découvert cette histoire au fur et à mesure de notre vie, de notre adolescence. Notre père n'aimait pas beaucoup parler de cela. Donc nous étions intrigués et je suis allé en Hongrie après le décès de mes parents. Nous avons renoué avec notre famille hongroise à ce moment-là. J'ai éprouvé, alors, une sorte de passion pour notre généalogie. Ma formation d'historien-géographe m'a incité à être le plus rigoureux possible, à ne pas romancer, à respecter les manques, les “blancs”, dans les archives familiales. »

La Haskalah dans l'Empire austro-hongrois

La branche hongroise de Jean-Robert Pitte est d'origine séfarade. Partie du Portugal, elle émigra aux Pays-Bas, puis en Allemagne et s'installa en Hongrie au XVIIIe siècle. L'empereur Joseph II, en 1787, contraignit la communauté juive de l'empire à prendre un nom de famille, selon la tradition des Européens depuis le Moyen-Âge, au lieu d'un prénom suivi de Ben et du prénom du père, voire du grand-père, en conformité avec l'usage sémitique. Cela se passait à l'automne, les feuilles des arbres rougeoyaient : les ancêtres de Jean-Robert Pitte décidèrent de s'appeler Rothbaum (arbre roux). Ils firent partie de ces très nombreux juifs qui cherchèrent à s'intégrer au maximum dans les États dans lesquels ils vivaient. La Haskalah - mouvement d'intégration intellectuelle et politique des juifs, soutenu par les souverains germaniques de l'époque - permit une émancipation et une assimilation des juifs. Malheureusement l'antisémitisme ne désarma jamais.
« Certains hongrois, magyars de naissance (et parfois illettrés au XIXe siècle), rejetaient la communauté juive qui participait à la vie culturelle et politique de la Hongrie. Mes ancêtres étaient cultivés ; parlant sept ou huit langues, ils étaient de vrais Européens et en même temps profondément magyars. Sous François-Joseph, ils ont entamé une ascension sociale qui conduisit l'un des siens à l'Académie des sciences de Budapest. »

Paris, après la Guerre de 1870 : ces « optants » venus d'Alsace

Jeanne, la mère de Jean-Robert Pitte, née en 1909, fut élevée à Paris dans la mystique de l'Alsace de 1870 ; ses grands-parents, ayant opté pour la France, s'installèrent en 1872 dans la « Petite Alsace » près de la gare de l'est à Paris, puis au Pré-Saint-Gervais.
La culture alsacienne restée vivante de génération en génération berça et fascina tous les enfants de la famille. Jeanne se sentait absolument alsacienne alors qu'elle n'alla, elle-même, dans le pays de ses grands-parents que trois fois dans sa vie ! Aller acheter sa choucroute dans la « Petite Alsace », cuisiner un kouglof dans le moule venu en 1872 de Grussenheim, respecter les traditions pieusement inchangées, tenaient du mysticisme.
On assista alors à une transmission d'identité qui rappelle celle des Arméniens, après le génocide ; quand trois, voire quatre, générations continuèrent à vivre dans la mystique de la Grande Arménie dont une partie, aujourd'hui, est en Turquie.
Jean-Robert Pitte évoque encore ses ancêtres du Pays de Caux, du Revermont, de la Croix Rousse à Lyon, etc.

Conseil ultime aux lecteurs et message d'espoir

Nous sommes tous fabriqués de ces identités multiples, emboîtées, parfois contradictoires. Interroger les archives familiales est une thérapie, une source d'énergie pour prendre son destin en main, guider ses descendants, relativiser les difficultés qu'on peut rencontrer au XXIe siècle et cesser de se plaindre. Migrations très difficiles à vivre, exils forcés, guerres des XIXe et XXe siècles, furent le lot commun des générations qui nous ont précédés. Ils ne vivaient pas longtemps, ils n'avaient pas de médicaments, mais ils se contentaient souvent des petites joies de la vie. « N'oublions pas de profiter, aussi, des petites joies de la vie, de ce qui nous vient du ciel ! »
Jean-Robert Pitte conclut ce message d'espoir en pensant à l'Union Européenne, cette Europe de Bruxelles dont il craignait la technocratie il y a quelques années: « J'ai compris que si l'Europe continue à progresser et à améliorer ce qui ne va pas dans son fonctionnement, nous ne connaîtrons plus de guerres, entre voisins européens ni avec d'autres pays plus lointains.
Avoir mis ces fragments de souvenirs familiaux sur le papier, avoir raconté tant de malheurs vécus par nos ancêtres, cela donne vraiment envie d'Europe.
»

En savoir plus :

- Jean-Robert Pitte membre de l'Académie des sciences morales et politiques.
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