Le concierge, en loge ou en prison !

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

« C’est une vraie concierge », lira-t-on dans les exemples proposés par les dictionnaires de l’usage courant. Et si l’on fouille du côté des dictionnaires offrant des citations, on repérera vite un extrait de Céline, qui dans "Voyage au bout de la nuit", en 1932, déclare qu’« une ville sans concierge, ça n’a pas d’histoire, pas de goût, c’est insipide, telle une soupe sans poivre ni sel » ! Voilà donc un mot qui mérite hommage et commentaire, ce à quoi s’emploie notre lexicologue Jean Pruvost.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots597
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Il faut d’abord dire que le mot concierge désigne aussi bien un homme qu’une femme, et qu’en général il s’assimile à quelqu’un qui prend beaucoup de plaisir à parler. Avouons que lorsqu’on vit professionnellement en bas de l’immeuble, avec une loge comme poste d’observation privilégié, on ne peut que partager les secrets de chacun, avec l’envie de papoter. C’est un beau métier, concierge, mais il est vrai qu’on l’a parfois assimilé à celui de bavard impénitent. Souvenons-nous par exemple que dans les Mystères de Paris, Eugène Sue avait appelé « Pipelet » un couple de portiers très bavard. C’est de là, de ce roman, qu’est venu le mot « pipelette », être bavard comme une pipelette c’est au départ être bavard comme la femme de Pipelet. Heureusement, que Céline a réhabilité le mot.

La Conciergerie fut convertie en prison d’Etat en 1370. Elle était ous la responsabilité d’un concierge

Le concierge, il faut le signaler, a aussi désigné la personne ayant la charge d’un édifice important et parfois redoutable comme une prison, d’où la Conciergerie. De fait, jusqu’en 1821, il y avait dans chaque prison de Paris un concierge et un économe, et le concierge disposait des bénéfices de la cantine, aussi sa place était-elle enviée. C’est qu’en termes financiers elle était de quatre à cinq fois supérieure à celle d’un directeur des années 1850. Mais disons-le tout net, il y avait aussi des concierges si peu payés que, comme le rappelle Paul Bourget dans le Disciple, en 1889, il leur fallait exercer en parallèle un métier manuel, cordonnier par exemple. C’est peut-être cette pauvreté qui a parfois fait désigner ce qui n’était pas synonyme de luxe, mais plutôt de misère, un certain nombre de chose en le qualifiant comme relevant d’un concierge. Dans le Trésor de la langue française, on signale par exemple Zola évoquant « un café qu’il appelait avec mépris un breuvage de concierge, » ou encore Julien Green décrivant « un affreux déshabillé, …un peignoir de concierge ».

Il reste à expliquer d’où vient le mot : on pourrait croire qu’il y a bien un rapport entre le cierge, qui permet de s’éclairer, et le concierge, qui pourrait être celui qui le tient, en accompagnant son locataire dans l’escalier. Proust en offrirait alors une version moderne dans le tome X d’À la Recherche du temps perdu, où il met en scène un concierge qui, « chaque fois que la porte cochère s’ouvrait », appuie « sur un bouton électrique qui éclairait l’escalier ». Mais tous les étymologistes le rattachent en vérité avec presque certitude au mot latin conservius, désignant le compagnon de service, le compagnon d’esclavage, conservius se déformant petit à petit en « concierge ». Qu’importe, la fausse étymologie qui fait intervenir le cierge, elle ne manque pas de charme, et elle participe sans aucun doute de l’orthographe du mot. Avouons-le, les concierges sont si utiles qu’ils méritent bien qu’on les honore en brûlant un cierge, fut-il étymologique !

Jean Pruvost

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise et où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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