Les banques ne sont que des miroirs...

La chronique Economie et finances de Jean-Louis Chambon, président du prix Turgot
Avec Jean-Louis Chambon
journaliste

La crise économique a fait des banques des boucs émissaires, constate Jean-Louis Chambon qui explique ici comment ces dernières ne sont que des miroirs de notre société. Pour lui, rien n’est plus contreproductif que de s’en prendre au système bancaire car sa puissance est l’un des instrument de la souveraineté des Etats. C’est agir contre ses propres intérêts...

Émission proposée par : Jean-Louis Chambon
Référence : chr736
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Pendant que s'instruit le procès des banques sur la place publique, à grand renfort médiatique de débats -des «Saint-Just des primaires» aux mots jamais assez durs contre les « spéculateurs qui rançonnent leurs clients »-, le grand silence de la parole publique et des partis au pouvoir est devenu assourdissant : l’honnête homme autant que celui de la rue s’interroge : «Que peut cacher un tel consensus dans un pays où même l'appellation de «mademoiselle » déclenche controverses et passions ?».

- La première piste de réponse est historique : une culture nationale « d'héritage révolutionnaire » : contre les bourgeois, les riches, les rois et les instruments de leur pouvoir, l'argent et les banques.

- Si on ajoute à cela 50 ans de doctrine économique universitaire majoritairement d'inspiration étatico-marxiste dont il résulte une inculture économique de la société civile assez terrifiante, on comprend le retour de cette tentation du bouc-émissaire qui frappe les Banques.

Et pourtant, non, à bien y regarder, les banques françaises n'ont rien à se reprocher qui puisse justifier ces propos haineux, et cette volonté « de les mettre au pas » ou sous tutelle.

Victimes de la crise mondiale de 2008, elles ont été d'abord taxées à travers le soutien à leur trésorerie à hauteur de 2 milliards d'euros, ce qui est un comble : qu'aurait–on entendu si ce même type d'aide à un secteur en crise mondiale, par exemple celui des agriculteurs, avait entrainé une telle rançon !

Mais n'ont-elles pas spéculé ?

Sauf exception, pour quelques établissements, elles n'ont enregistré que des dégâts collatéraux du système installé par les dérives des banques anglo-saxones, subprimes et autres «toxicitées».

D'ailleurs, elles sont sorties renforcées relativement à leurs consoeurs anglo-saxonnes de la première crise. Quant à la crise de la dette, peut-on, sans être ignorant ou totalement hypocrite, leur reprocher d'avoir donner la priorité à leur mission première de financement de l'économie, en répondant aux demandes insistantes de financement des Etats européens (ayant passés les stress test de l'entrée à l’Europe, certes en trichant honteusement pour certains, notés 3A par les agences de notation et donc censés constituer un « risque souverain », de facto incompatible avec un défaut de paiement) ?

Que l'on sache, les Etats sont des acteurs majeurs de l'économie, dirigés en principe par des hommes politiques responsables et démocratiquement élus en charge des finances publiques et de la dette : la faute à qui si aujourd’hui ces pays sont en situation de grande fragilité ?

Puis, ce fut le tour des régulateurs européens de faire valoir sur le dos des banques, leurs interprétations hasardeuses « anti-crise systémique » : plus de fonds propres, plus de règles, plus de normes... Las, ces experts sont en retard d'une guerre de la finance : aujourd'hui « la shadow- banque », les fonds apatrides (hedge funds), installés dans des paradis fiscaux, etc. C’est à dire l'ensemble des acteurs qui échappent au périmètre repérable et régulable, constitué par les banques et établissements financiers dépendant d’un cadre institutionnel, pèsent entre 7 et dix fois sur le PIB américain ! C'est-à-dire des volumes considérables de « hot money » totalement déconnectés des mesures de contrôles classiques, et qui bien souvent se nourrissent des trous noirs que crée une régulation partielle et donc improductive.

Tel est donc ce qui se cache derrière ce déni « politique » de réalité : une crise de solvabilité des Etats du monde occidental dont les banques sont à la fois les victimes et les bouc-émissaires. Dans ce sens les banques sont des miroirs de la société et du temps dans laquelle elles évoluent.

- Les miroirs d'une forme de décadence intellectuelle et morale, venue d'abord du monde anglo-saxon, copiée partiellement par le reste du monde, qui a laissé par complicité objective d’intérêt, ses places financières, Wall street et la City, échapper à tout contrôle, qui à fait grandir ses «banquiers voyous», avec des instruments, les bonus, et des acteurs «deus ex machina», les traders, exacerbant la cupidité et les visions court-termistes.

- Les miroirs aussi d’une pathologie du politique qui par ses indécisions, ses atermoiements, et son insuffisance de courage moral à alimenter la crise de solvabilité des Etats, en entretenant l’inquiétude des marchés, et en s’évertuant en toute hypocrisie, à laisser croire à l’opinion, déjà largement dogmatiquement convaincue, que la crise de la dette vient de l’action des banques.

- Les miroirs enfin de l’absence de mémoire de nos dirigeants qui avec une tendance masochiste aggravée, ressortent toujours les vieilles recettes, pourtant usées par l’Histoire jusqu'à la corde (qui, espérons le, comme le prétendait Marx, ne servira pas à les pendre !) : plus de contrôles et plus d’Etat.

On voit mal comment il pourrait en aller autrement de ce qui hier à fait naître les plus belles bérézina financières sous la direction et le contrôle des représentants de l'Etat ou issus de l'Ecole nationale de l'Administration : le Crédit Lyonnais avec Jean-Yves Haberer, et Dexia, avec Pierre Richard dont les exigences de rémunérations annexes en dépit de sa responsabilité qui vient d'être mise au grand jour dans la faillite de l'établissement, n'ont rien eu à envier aux pires pratiques du secteur privé.

Les tenants du «capitalisme totalitaire», versus national, dont la Chine est le grand champion, devraient avoir en tête cette autre réalité rapportée par le New York Times (David Barboza) : «Les banques dans ce système consentent des prêts sur injonction du Parti, lèsent les épargnants au profit des entreprises publiques.» Voilà le modèle.

Nous serions donc bien inspirés de trouver des solutions plus démocratiques que la mise sous tutelle des banques françaises. Répétons-le : les banques sont des miroirs de la société dans laquelle elles s’insèrent en acteur central de l'économie : il n'y a pas de pays prospère sans banques prospères, rentables et fortes, ce qui suppose des fonds propres importants donc des profits et des actionnaires ; mais pas d'actionnaires sans dividendes pour rémunérer le risque de l'investissement.

Rien n’est plus contreproductif que la logique du bouc-émissaire dans une stratégie de long terme : s’en prendre à son système bancaire dont la puissance est l'un des instrument de la souveraineté des Etats, c'est agir contre ses propres intérêts : le bouc-émissaire selon la légende, était envoyé dans le désert pour expier les péchés du peuple ; mais pour traverser les terres arides qui s’annoncent devant la prochaine décennie, la liberté de choix se situe seulement entre le chameau et le dromadaire : le risque serait de se laisser tenter par «les petits lapins» sortis du chapeau des adeptes de la baguette magique, dont les détracteurs des banques sont les premiers représentants.

Jean-Louis Chambon, président du Prix Turgot.

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