« Capitalisme » syndical

Plus que jamais d’actualité... la chronique de François d’Orcival
François d’ORCIVAL
Avec François d’ORCIVAL
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Les marins de la CGT pleuraient sur les quais du Havre quand ils ont vu partir le France qu’ils avaient coulé. Les syndicalistes de la CFDT vont-ils pleurer sur les quais de Calais en laissant partir les ferries de SeaFrance qu’ils auront conduits à la liquidation ? Il n’y eut pas de sauvetage pour le France ; Valéry Giscard d’Estaing l’estima hors de prix. Il y a eu une tentative de sauvetage de SeaFrance quand Nicolas Sarkozy a pris les syndicalistes de CFDT Maritime au mot en leur disant : Vous voulez reprendre vos bateaux à votre compte ? Banco ! Vous avez 11 millions et il vous en faut 50 pour votre projet de coopérative ? Vos salariés pourront compléter avec le supplément de leurs indemnités.

Et là, tout s’est arrêté. Les marins de SeaFrance voulaient bien avoir des délégués syndicaux de la CFDT mais ils n’étaient pas disposés à leur confier leur argent. « Dans six mois, on n’aura plus rien » - même les socialistes l’ont dit. Les salariés ne font pas confiance à des amateurs. Les syndicalistes eux-mêmes se sont mis à trembler : ils se rendaient soudain compte qu’ils allaient devenir responsables de la gestion de la compagnie. Responsables ? Il leur fallait une garantie, l’Etat ou à défaut une banque, une entreprise publique. Comme quoi devant la réalité du pouvoir, le syndicaliste préfère l’esquive.

La CFDT Maritime qui régnait sur les ferries de SeaFrance avait cumulé – comme la CGT du France – les avantages d’une grande société à capitaux publics (ici la SNCF) et ceux du transport maritime, avec ses statuts et ses primes. Les camarades de la fédération CFDT du Pas-de-Calais y avaient ajouté une caisse noire de détournements, de trafics illicites et d’abus (avec dépôts de plaintes et enquête du parquet). Mais rien n’avait bougé ; ils ne voulaient pas voir des « pros » du privé, qu’il s’agisse des armateurs danois ou de Louis Dreyfus, s’intéresser à leurs affaires ; ils ont préféré aller jusqu’au bout de la faillite.

Les voilà rattrapés par leurs responsabilités. François Chérèque, leur secrétaire confédéral, dénonce leur « comportement peu honorable » le matin même où le tribunal de commerce statue sur la liquidation. Il n’y a de capitalisme qu’avec un entrepreneur, du capital, du travail – et des clients. Même les salariés de SeaFrance en sont convaincus : sans patrons ni capitaux, ils choisiront leurs indemnités.

Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 13 janvier 2012. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire. Les propos de François d’Orcival n’engagent que lui-même, et non pas l’Académie à laquelle il appartient ni l’Institut de France.

Écoutez les précédentes chroniques de François d'Orcival

Cela peut vous intéresser