Jean-Pierre Babelon : Louis Le Vau, architecte du « style Louis XIV »

La modernité de Le Vau et le classicisme français évoqué par l’historien de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Louis Le Vau (1612-1670), nommé "Premier Architecte du Roy" en 1654, est un des fondateurs du classicisme. Précurseur et auteur d’édifice prestigieux du XVIIe siècle, comme Vaux-le-Vicomte ou Versailles, il tient une place considérable dans le grand dessein architectural de la France.
Écoutez Jean-Pierre Babelon, de l’Académie des inscriptions et belles lettres, dont les travaux dominent et influencent une grande partie de l’histoire de l’architecture française de XVIIe, évoquer la carrière, l’originalité et l’influence, de Louis le Vau, né il y a 400 ans.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : carr892
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Louis Le Vau, est né à Paris en 1612 et mort dans la même ville en 1670. Ses hôtels particuliers parisiens, ses châteaux en Ile-de-France, ses travaux au Louvre, aux Tuileries, à Versailles, ses dessins pour le Collège Mazarin – actuellement le palais de l'Institut de France- illustrent le fameux « style de Louis XIV ».
Contemporain de François Mansart, de Jules Hardouin-Mansart et de Jacques Lemercier, Le Vau est un des maîtres d’œuvre du classicisme français que Jean-Pierre Babelon, de l’Institut de France, juge «conforme à la grammaire antique mais adapté au ciel, aux usages et aux goûts français».

Louis Le Vau (1612\/1670)
Institut de France

Un nouveau quartier parisien : l'Île Saint Louis

Louis Le Vau, entré dans la carrière par sa famille, commence son ascension grâce aux commandes de la bourgeoisie de robe et de la finance, dans l'Île Saint-Louis nouvellement lotie et urbanisée.

Et Jean-Pierre Babelon de préciser : «Il a été décidé en amont de l’Ile de la Cité, cœur même de la ville de Paris depuis son origine, que l'îlot Notre-Dame et l'île aux Vaches, placés derrière la pointe orientale de l’Ile de la Cité, pouvaient faire l’objet d’un espace urbanisé car ils étaient « réunissables » et se trouvaient également au cœur de Paris. En les réunissant par des ponts aux rives droite et gauche, on pouvait ainsi arriver véritablement à faire surgir un nouveau quartier. Et il était tout à fait frappant et normal qu’une nouvelle architecture soit née pour garnir ces terrains qui, jusque là, ne faisaient pas partie de la ville de Paris. Ils étaient inhabités et servaient d’entrepôts et de terrains de duels. Il faut construire un pont -ce pont sera baptisé « Pont Marie » du nom de Christophe Marie, l’entrepreneur. On commence aussi à remblayer les îlots, monter les niveaux sur pilotis et construire des quais. Hôtels particuliers majestueux et immeubles de rapport plus modestes sont mis en chantier malgré les énormes contraintes imposées par la forme et l'exiguïté de l'île nouvelle.
La promenade de l’Ile Saint-Louis est absolument unique dans le paysage français. A droite, à gauche, sur les quais, lors de la traversée, sur la rue, vous avez un ensemble d’une homogénéité étonnante qui a été préservée (sauf quelques ennuis). Et la vue de l’Ile Saint-Louis sur l’Ile de la Cité reste splendide
».

Le sud de l’île Saint-Louis, avec le quai d’Orléans, vu depuis le pont de la Tournelle.


L'architecture d'illusion de Le Vau

Le schéma antérieur de l'hôtel classique -une cour avec un corps de logis au fond et deux ailes qui vont jusqu'à la rue- ne peut s'adapter ici. Il s'agit de bâtir les appartements, des résidences des grands bourgeois, sur les quais avec une vue dégagée sur la Seine et ses rives.
La pointe de l’Ile réserve aussi quelques difficultés en raison de l'arrondi, de la mitoyenneté évidente.
Faut-il avoir tous les bâtiments sur le quai ou sur l’extrémité de la rue centrale ? Le Vau traite cette contrainte avec l’Hôtel Lambert, construit en 1640/1642. Comment arriver à maîtriser cet ensemble pour avoir tout de même un hôtel entre cour et jardin ?

C’est là où se manifeste cet art artificieux et magnifique de Le Vau : saisir la situation pour en faire une beauté inédite et surprenante.
Comme il l’a fait pour le Collège Mazarin, où les terrains sont extraordinairement difficiles, il s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas tout construire dans l’axe central de l’espace tel qu’il apparaît pour le visiteur, il fallait tout traiter en biais, tout en faisant croire qu’on était toujours dans l’axe principal.
C’est une architecture d’illusion qui appartient vraiment à Le Vau. Pour l’Hôtel Lambert, nous avons donc une cour qui ouvre sur la rue Saint-Louis-en-Ile, l’aile gauche est minuscule et étroite et au fond l’aile centrale est, en réalité, l’escalier. Tout se développe sur la droite : y sont surélevés un jardin, puis la galerie d’Hercule avec une vue superbe sur la Seine et l'orient.
Le Vau fait appel aux peintres Le Brun et Le Sueur. Ce fut une nouveauté extraordinaire pour la bourgeoisie de Paris d’arriver à avoir un ensemble totalement peint par les plus grands artistes de leur génération.
L'hôtel Lambert est aujourd’hui l’un des plus beaux joyaux existant à Paris.

Château de Vaux-le-Vicomte

Vincennes, La Salpêtrière, Vaux-le-Vicomte, le Louvre, les Tuileries, « l'enveloppe » de Versailles, le Collège Mazarin...

Jean-Pierre Babelon poursuit, avec enthousiasme, l'évocation de cet architecte de génie dont les plans, si audacieux, ont tant séduit Louis XIV et influencé l'Europe entière : «l’organisation des espaces et la conception même des façades avec l’ordonnancement des pilastres, mais aussi les libertés qu’il prend parfois avec l’architecture ont marqué. C’était un vrai architecte, qui ne se pliait pas. Pour la façade du Collège Mazarin, jamais un architecte soucieux de bien appliquer les règles des traités de Vitruve n’aurait établi, sur les deux cotés des ailes arrondies qui réunissent les pavillons et la chapelle, au dessus d’un soubassement avec des pilastres, un petit étage comme celui que nous voyons. L’idée aussi que, dans l’entablement du pavillon occidental, on puisse percer des petites fenêtres pour éclairer les étages de derrière est quelque chose d’absolument scandaleux pour les théoriciens.
Il y a une originalité et une liberté profonde chez Le Vau, qui est une modernité.

Jean-Pierre Babelon de l’Académie des inscriptions et belles-lettres

Je me permets, pour finir, d’ajouter que jusqu’ici on manquait d’un grand ouvrage fondamental sur Le Vau. Cela est terminé. Une thèse d’un historien d’art très connu va enfin pouvoir sortir. C’est l’œuvre d’Alexandre Cojannot. Dans les bibliothèques, maintenant il y aura un « Le Vau ».»

En savoir plus :

- Écoutez également une autre émission avec Jean-Pierre Babelon de l'Académie des inscriptions et belles-lettres : Les archives nationales de la France de Jean-Pierre Babelon, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres

- Consultez la fiche de Jean-Pierre Babelon sur le site de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

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