Marc Fumaroli : Paris-New York et retour

Entretien sur les arts et les images avec Marc Fumaroli, de l’Académie française
Marc FUMAROLI
Avec Marc FUMAROLI de l’Académie française,
Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Marc Fumaroli propose un voyage dans les arts et les images, puisque tel est le sous-titre de son livre intitulé Paris New York et retour . Il s’explique sur cette notion oubliée, l’otium, loisir fécond, repos actif de l’esprit. Il s’insurge sur des adjectifs appliqués à l’art, tels que "contemporain" ou "vivant". Il choisit ses intercesseurs, Baudelaire, Valéry et saint Augustin. Et il déplore que la France et l’Europe s’évertuent à copier, en moins bien, un art et une culture qui ne répondent pas à leur identité profonde...

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Marc Fumaroli  de l’Académie française

Chacun sait que Marc Fumaroli est membre de l’Académie française où il siège, depuis 1995, sur le 6ème fauteuil, précédemment occupé par Eugène Ionesco. Mais il convient de ne pas omettre de rappeler qu'il est également membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres depuis 1998, au fauteuil laissé vacant par l’historien Georges Duby. Et que plusieurs académies étrangères très prestigieuses l'ont accueilli en leur sein. Enfin, il compte parmi les académiciens professeurs au Collège de France.


Pour commencer cet entretien, petite confidence de l'écrivain : certes, lors de ses voyages, il prend de nombreuses notes. Ainsi, à la page 178 de son livre, il écrit à propos de l’architecture américaine : je me suis longtemps borné, dans mes pérégrinations et séjours nord-américains, à noter, partout où je le retrouvais, cette note persistante de classicisme architectural dans les édifices publics comme dans les demeures privées anciennes ou toutes neuves, pauvres ou pimpantes, au passage d’une banlieue verte ou d’un quartier déchu de petite ville. Et dans le tout dernier chapitre, intitulé « Brève péroraison », il ajoute : J’ai voyagé des deux côtés de l’Atlantique dans le monde de la vue, parmi les images, les arts et les livres, et je me retrouve devant cette mosaïque de notes dont il me faut maintenant m’éloigner pour en découvrir, s’il se peut, la figure d’ensemble.

Est-ce à dire que ces notes constituent les prémices de son art d'écrire ? Pas vraiment, ainsi qu'il s'en explique... Bien qu'il qualifie ce livre de « journal de voyage », ce n’est pas un journal au sens où on l’entend habituellement avec des notes prises de manière chronologique.

L'antique otium : Loisir fécond contre divertisement préfabriqué


Dans son premier chapitre, et c’est l’un des fils conducteurs de ce livre, il réveille une notion largement oubliée, la notion antique d’otium, celle de la contemplation féconde, du loisir lettré, que l’on comprend mieux par son contraire le neg-otium qui a donné en français le mot négoce, l’agitation autour des affaires. Cette notion est essentielle à ses yeux pour apprécier une œuvre d’art : « la contemplation de l’œuvre d’art est elle-même un repos actif ». Mais cet otium n'était pas un privilège de riches païens grecs ou romains ; il existait un otium plébéien. Et les chrétiens en ont proposé une survivance dans la vie monastique et contemplative.

Lorsqu'il visite la Villa des Mystères à Pompei, Marc Fumaroli dit avoir respiré « l’odeur de l’otium », une odeur qu’on ne goûte pas à New York ni même à Paris. A la fin de son livre, après cette méditation sur l’otium, il déplore surtout que sa pratique soit devenue quasi impossible, mais pas totalement, car il reste un plaisir clandestin… auquel il faut de la lenteur et de l’attention. Et de citer Paul Valéry : « se ménager du temps est nécessaire pour l’esprit. Pour l’esprit, il faut du temps perdu ».

Si, dans ce livre, le lecteur cotoie un Marc Fumaroli esthète qui lui fait partager le bonheur d’admirer les grandes œuvres d’art, il rencontre aussi un Marc Fumaroli en colère. deux mots, entre autres, l'irritent et il s'en explique dans cette émission :
- le mot « contemporain » appliqué à l’art
- et le mot « plasticien » en lieu et place du mot « artiste ».


De l'art ou du divertissement ?

L’Art, écrit-il, ou ce que l’on appelle maintenant ainsi avec un grand A, celui qu’on voit, celui qu’on montre, n’a pas échappé à cette technologie du divertir à grand rendement ». Le divertissement, sa production industrielle et commerciale, à laquelle n’échappe pas l’art d’aujourd’hui, ce divertissement qui doit être rentable, semble avoir désormais supplanté l’art : l’impératif de la rentabilité omnivore commune à toutes les idolâtries de la modernité… crée un désert pour l’art (page 79). Ainsi, le monde moderne –où Time is Money- est contraire à cet état d’esprit de contemplation.

Dans l’index des innombrables personnes que Marc Fumaroli cite, de toutes les époques, il semble qu'on puisse en distinguer trois auxquelles il fait référence plus souvent : Baudelaire, Valéry et St Augustin. Il s'explique donc sur ces "fréquentations" littéraires.

Autre sujet de colère : que la France, Paris, s’évertue et s’épuise à imiter New York et les Etats Unis (la formidable industrie des images). La conception de l’art contemporain américaine et la française ne sont pas identiques : A new York, on vend en professionnel à qui est disposé à acheter, public ciblé plus ou moins étroit, plus ou moins vaste, telle ou telle gamme de produits. A Paris, on est beaucoup plus idéaliste et ambitieux : on veut convaincre le « plus grand nombre « qu’il doit admirer et goûter « l’art mondial contemporain »…. Ce faisant, ni la France ni l'Europe, qui jouissent d'un immense patrimoine artistique et spirituel "nourrissant", ne répondent alors à leur vocation profonde et attendue.

Si le livre de Marc Fumaroli a essentiellement trait à l’art, aux œuvres d’art, le monde des images n’échappe pas à son attention : le cinéma, la télévision, les jeux vidéo, l’Internet, la publicité. Ecoutez quelques uns des reproches qu'il adresse à ces (vampiriques) canaux d’images.

Cette conversation avec Marc Fumaroli exhale néanmoins le bonheur : seule la beauté peut rendre l'homme à lui-même et le monde habitable !


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