La chapelle Sixtine de Michel-Ange racontée par Dominique Fernandez, de l’Académie française

L’académicien est l’invité de Marianne Durand-Lacaze
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Entrez dans la chapelle Sixtine en compagnie de Dominique Fernandez, de l’Académie française. L’écrivain, qui connaît si bien l’Italie dresse le portrait d’un Michel-Ange fier, bagarreur, au génie créateur hors-norme, bien trop puissant à ses yeux, pour en faire un personnage de roman a accompli, ce qu’il convient d’appeler un chef-d’œuvre, seul, ce qui paraît inimaginable, devant l’ampleur de la tâche. Le sculpteur, peintre, architecte, humaniste, ayant réussi la synthèse de l’idéal antique avec le christianisme appartient au premier tiers du XVIe siècle : « un temps des génies » qui ne laisse pas indifférent 500 ans plus tard.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr912
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Le premier tiers du XVIe siècle est « un temps des génies », une ère des synthèses, comme l’a bien montré André Chastel, le mythe de la Renaissance s’est cristallisé à Rome sous la forme de quatre projets grandioses auxquels architectes, peintres, et sculpteurs, appelés dans la capitale furent associés : le Nouveau Saint - Pierre commencé par Bramante ; le mausolée de Jules II, dessiné par Michel Ange ; le « miroir historial » peint par Michel-Ange au plafond de la Chapelle Sixtine ; enfin, le « miroir doctrinal confié à Raphaël dans la Chambre de la signature.


Portrait de Michel-Ange (1475-1564) par Daniele da Volterra (1509-1566) surnommé "il Braghettone"




Dominique Fernandez a consacré de très nombreux livres à l’Italie et sa culture, dans ses romans, ses essais, ses écrits de voyages, ses traductions. L’écrivain né à Paris en 1929, ancien élève de l’École Normale supérieure, agrégé d’italien, écrit régulièrement pour le Nouvel Observateur. Il a publié entre autres un Dictionnaire amoureux de l’Italie, a traduit des poèmes de jeunesse de Pasolini, a consacré sa thèse et un essai à Pavese. On connaît son passion pour les arts, la peinture ou l’opéra, sa passion pour Le Caravage qui lui a inspiré La Course à l’abîme repris dans Prestige et Infâmie avec trois autres portraits romancés dont un de Pasolini, justement.

On ne lui connaît pas de livre particulier sur Michel-Ange, figure emblématique des arts de la Renaissance en Italie dont les œuvres ont marqué l’art en Occident pour des siècles sans que visiblement on puisse mettre un point final, à son influence, même aujourd’hui. En témoignent la Pietà de l’artiste Jan Favre, figure star du monde de l’art contemporain ou encore, l’usage des images de la chapelle Sixtine sans cesse reproduites ou détournées par la publicité.


Voûte de la Chapelle Sixtine, le cycle de la Genèse vu par Michel-Ange




La chapelle est visitée en moyenne par 4 millions de visiteurs chaque année. A ce rythme, on peut se demander comment la préserver ?

Restaurée en 1981 et 1989, on voit bien mieux couleurs et détails des fresques situées à plusieurs mètres de distance du visiteur, au point d'en donner une interprétation différente, non pas sur le fonds mais sur la forme.
Son plan simple consiste en une salle rectangulaire de 40 mètres de long, 13 mètres de large et 21 mètres de haut en référence au nombre d’or utilisé souvent par les architectes de l'époque. Une voûte en berceau à 21 mètres du sol et douze fenêtres cintrées l'éclairent.
Le sol qui n’est pas abordé dans cette émission, présente un pavement de marbres polychrome et une transenne de marbre ajouré, semblable à une iconostase, séparant l’espace réservé aux clercs de celui réservé aux laïcs.

La commémoration des 500 ans de l’inauguration de la chapelle Sixtine, le 31 octobre 2012 est l’occasion de retrouver Dominique Fernandez, de l’Académie française pour parler d’art, de Michel –Ange et des fresques de la Chapelle.


Quelques mots d'histoire



Michel-Ange, Michelangelo Buonarroti, est né près de Florence le 6 mars 1475, dans la ville de Caprese, près d’Arezzo en Toscane. Il meurt en 1564 à Rome.

L’histoire de sa vie est connue ses deux biographes et élèves Giorgio Vasari et Ascanio Condivi. Le peintre Ghirlandaio l’initia puis à quatorze ans, il quitta l’atelier de celui-ci pour celui de Bertoldo, disciple de Donatello, au service de Laurent de Médicis. L’histoire mouvementée de Florence l’obligea à quitter la Toscane pour Bologne, Venise et Rome où il revint cependant à plusieurs reprises.


Création d’Adam par Michel-Ange ; voûte de la chapelle Sixtine




La Chapelle Sixtine doit son nom au pape Sixte IV, qui l'avait construite au cœur des palais du Vatican en 1481-1483. Ses murs avaient été peints à fresque par d'illustres artistes tels que Botticelli, Ghirlandaio ou Le Pérugin, avant Michel-Ange. Quelques décennies plus tard, les papes Jules II et Cléments VII commandent à Michel-Ange la décoration de la voûte de la chapelle puis dans ce second temps celle du mur de l'autel. Tous les trois se connaissaient depuis leur enfance florentine, avant leur destin exceptionnel d’artiste pour l’un et de pape pour les deux autres. De 1508 à 1512, la peinture des fresques du plafond de la chapelle occupèrent Michel-Ange jusqu’à l’épuisement d'autant qu'il travaillait seul, selon sa volonté, contrairement à nombre d'artistes de son temps.


On retient de l’œuvre sa maestria pour répondre au programme iconographique demandé par les papes, réalisant une synthèse entre philosophie antique et philosophie chrétienne.

Il choisit neuf scènes de la Genèse, en position centrale sur le plafonds, parmi lesquelles : La Création d’ Adam, La Création d’Eve, La Chute d’Adam et d’Eve, Le Déluge. Ces scènes sont entourées en alternance de représentations de prophètes et de sibylles, d’ancêtres du Christ ou d’autres personnages de l’Ancien Testament. Michel-Ange a voulu que le visiteur ne déchiffre pas par l’histoire de la Création et du péché, par le début du récit de la Genèse mais par l’ivresse de Noé pour méditer sur les misères humaines, pour remonter au fur et à mesure jusqu’au tabernacle et au mur de l’autel. Cette mise en scène d’un type nouveau implique de jouer avec le visiteur en mouvement. Nous sommes loin de la méditation devant un retable. Elle prend en compte le déplacement, du visiteur aujourd’hui, du fidèle hier, placé au cœur de l’œuvre. Sibylles et prophètes les accompagnent vers la compréhension du Jugement dernier ou dans leur cheminement spirituel.

Il quitta Rome pour de nombreux périples, pour des raisons politiques.
Puis revint à Rome pour peindre la fresque du Jugement dernier sur le mur de l’autel : 13 mètres de large, 21 mètres de hauteur, sur commande du pape Clément VII, alors qu'il avait 60 ans. Le travail dura six ans, entre 1535 et 1541.


Le Jugement dernier de Michel -Ange sur le mur d’autel de la chapelle Sixtine




Entre les deux périodes pendant lesquelles il intervient dans la Chapelle Sixtine, la crise religieuse déclenchée par Luther en 1517 avec la Réforme a conduit la papauté à réagir par la Contre-Réforme. Le sac de Rome par les 40 000 lansquenets de Charles Quint en 1527 pendant 10 mois a laissé le centre de la chrétienté occidentale anéanti et ravagé. Des événements historiques indispensables pour situer au plus près l’œuvre. La force des images du mur de l'autel peintes par Michel-Ange, car il s’agit d’une bataille idéologique et religieuse, s’explique par le génie créateur de l’artiste et par le contexte religieux de l’époque. La lutte sans merci entre Réforme et Contre-Réforme jeta l’Italie puis le reste de l’Europe dans les guerres de religions qui ont déterminé une part de son identité.

Pour certains, plus encore qu'’une révolution artistique, la fresque du jugement dernier signe aussi un véritable bouleversement de la foi catholique. On pense que Michel Ange fut inspiré par la description
du Jugement Dernier de Saint Matthieu (Apocalypse 20, versets 11-15) et par le poème médiéval, Dies Irae, probablement connu de lui, auquel il convient d’ajouter ses connaissances humanistes grâce à l’enseignement de Marsile Ficin ou de Pic de la Mirandole qu'il suivit, et son goût pour la mythologie gréco-romaine, également bien connue de Michel-Ange depuis son apprentissage chez les Médicis à Florence. Comme Dante ou Boticelli, il est d’abord l’héritier d'une pensée en rupture avec la vision médiévale du christianisme qu'il conçut enrichie de références païennes.


Dans cette émission, Dominique Fernandez évoque la beauté et la composition de ces fresques, la puissance créatrice de Michel-Ange, la reprise du nu antique à la Renaissance, en particulier du nu masculin, la figure des ignudi, la dynamique de ces images, le scandale qu'elles provoquèrent. L'écrivain décrit la Renaissance comme cette alliance entre l’évangile et la Grèce, cette exaltation de l’homme comme mesure du monde, ce culte voué à la nature, à la jeunesse, à la beauté, cette religion du bonheur dans l’accord de l’âme et des sens trouvèrent en Laurent de Médicis un disciple enjoué plus qu’un acteur visité par l’esprit. Michel-Ange, était-il finalement un acteur ou un disciple enjoué des papes, pour reprendre sa formulation ?

La chapelle Sixtine, au sein de laquelle les cardinaux élisent chaque nouveau pape est l'une des salles des palais pontificaux du Vatican à Rome. À l'heure actuelle, elle fait partie des musées du Vatican.


Détail, le Christ et la Vierge, Le Jugement dernier de Michel -Ange sur le mur d’autel de la chapelle Sixtine





L’ouvrage Fresques italiennes du XVI e siècle, De Michel-Ange aux Carrache, 1510-1600, chez Citadelles & Mazenod de Julian Kliemann et Michael Rolhmann (2004), offre un panorama complet sur l’art de la fresque porté au paroxysme par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine et par Raphaël avec les Chambres. Au fil du Seicento, dans les palais et les villas, la fresque acquiert une nouvelle fonction : parer et sublimer de décors somptueux du cadre de vie des princes. Les successeurs de Michel-Ange et de Raphaël mettent au point des décors complexes et raffinés où la mythologie antique côtoie l’iconographie chrétienne ( Perrino del Vaga au Château Saint-Ange, Brozino au Palazzo Vecchio à Florence). Les fresques de Michel-Ange ont constitué pour eux un modèle inépuisable et insurpassé pour la représentation des nus masculins héroïques, un grand cycle de référence. Michel-Ange souhaitait bien subjuguer le public et les participants des grandes fêtes liturgiques. Il y réussit pour des siècles avec ses fresques célèbrant la perfection de la création divine et le message du Salut.


Dominique Fernandez, de l’Académie française, 4 octobre 2012
© Canal Académie




Pour en savoir plus

- Dominique Fernandez sur le site de l'Académie française


- D'autres émissions avec Dominique Fernandez sur Canal Académie :
- Réception de Dominique Fernandez sous la Coupole
- L’Italie de Dominique Fernandez de Pise à Naples
- Dominique Fernandez, de l’Académie française : Prestige et Infamie
- "Transsibérien" de Dominique Fernandez, de l’Académie française

- Fresques italiennes du XVI e siècle, De Michel-Ange aux Carrache, 1510-1600, chez Citadelles & Mazenod de Julian Kliemann et Michael Rolhmann (2004)

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