Enseigner la science dès le primaire : un nécessaire défi !

Comment les instituteurs peuvent-ils s’y prendre ? Sont-ils formés pour un tel enseignement ?
Yves QUÉRÉ
Avec Yves QUÉRÉ
Membre de l'Académie des sciences

En France on n’aura jamais autant insisté sur l’apprentissage des fondamentaux à l’école primaire : lire, écrire, compter. C’est ainsi que dans les années 1990, la science, en dehors de l’arithmétique, ne fut enseignée que dans 3% des écoles primaires. Aujourd’hui, grâce à l’initiative La main à la pâte, 40% des écoles primaires intègrent la science dans leur programme. Comment intéresser instituteurs et élèves à cette discipline ? Réponses en compagnie de Nicole Ostrowsky et de Yves Quéré, membre de l’Académie des sciences.

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La confusion semble demeurer sur le mot « science ». En effet, l’image actuelle que nous avons de la science est devenue celle des machines extraordinaires, accélérateur de particule, GPS ou IRM, par exemple. Mais c’est oublier que la science nous entoure dans notre quotidien.
Comment se forment les nuages ?
Qu’est-ce que le verre ?
Qu’est-ce qu’un calcul binaire ?

Trois questions que les élèves et pourquoi pas, les parents et les instituteurs, peuvent se poser et trouver des réponses simples. Encore faut-il se les poser ! L’exercice de début janvier de L’agenda de l’apprenti scientifique de Nicole Ostrowsky en est le reflet : « Ecrit sur une feuille les raisons pour lesquelles tu ne poses pas de question ». Car il semble que la curiosité de nos jeunes élèves d’école primaire ne soit pas toujours sollicitée, là où dans d’autres pays comme les Etats-Unis, les élèves n’hésitent pas à prendre la parole et poser toutes les questions qu’ils leurs viennent à l’esprit.
« La curiosité n’est pas un automatisme » explique Yves Quéré. Et de nous faire part de l’anecdote suivante : « Abdus Salam, pakistanais, prix Nobel de physique en 1979 avec les deux américains Glashow et Weinberg, posa la question suivante à ses confères : Pourquoi autant de juifs ont-ils reçu un prix Nobel ? Weinberg lui répondit : Parce que la mère leur demandait après l’école : « as-tu posé au moins une bonne question ? » ».

La science est-elle nécessaire à l’école primaire ?

Comme le résume Yves Quéré, « la science n’est peut-être pas nécessaire dans un apprentissage précoce, mais elle doit être exposée précocement à la culture universelle ».

La science peut paraître au premier abord inabordable pour les instituteurs. C’est le constat que dresse Yves Quéré, en contact direct avec les maîtres. Le manque de temps est aussi incriminé dans le peu d’enseignement de la science (elle nécessite le plus souvent des cours sous forme d’expériences). Le seul point « positif », consiste à pouvoir faire de la science avec peu de matériel.

Enseigner la science : le principe de l’expérience

On distingue deux types d’enseignement :
- L’enseignement vertical (apprendre par cœur le savoir que délivre l’instituteur : 2x2 = 4 par exemple) L’enseignement vertical a toute sa place à l’école.
- l'enseignement horizontal où l’enfant apprend en raisonnant, par de petites expériences. Ce type d’enseignement s’applique particulièrement bien à la science.

Exemple nous est donné à travers l’anecdote d’Yves Quéré. Installé au fond de la classe, Yves Quéré écoute le professeur faire un cours sur les différents états de l’eau. Les enfants apprennent par cœur que l’eau bout à 100°C. A la sortie de l’école, Yves Quéré demande à deux enfants ce qu’ils ont retenu. Le premier lui répond : « L’eau bout à 100°C, c’est normal, il y a de l’eau dans la boue ». Le second lui explique : « Je connais les degrés, mon père boit du vin, et c’est écrit sur les bouteilles » ! Cette anecdote prête à sourire, mais elle pose la question suivante : Combien d’enfants apprennent sans réellement comprendre ?

Nicole Ostrowsky utilise d’ailleurs la maxime suivante :
« Dis-moi et j’oublierai
Explique-moi et je comprendrai
Implique-moi et je retiendrai »


La réforme de l’enseignement : des inquiétudes

Nicole Ostrowsky travaille depuis plusieurs années à la formation des maîtres dans le cadre de l’IUFM.
« Si des réformes sont certainement nécessaires, il faut aussi voir qu’il y a des choses qui marchent bien et qu’il faut conserver » explique-t-elle. « Ce qui marche bien à Nice par exemple, c’est de mettre les instituteurs en situation. Ils réalisent les expériences avant de les refaire dans leur classe. Un bon formateur en IUFM leur indique tout ce qui peut mal tourner, comment s’y prendre face à des élèves ».

Actuellement, les instituteurs et professeurs effectuent leur première année d'enseignement tout en suivant des cours à l'IUFM. On dit qu'il sont "professeurs stagiaires".
Dans la future réforme, il est question de faire sauter cette "année de stage", laissant les jeunes professeurs livrés à eux-mêmes .« Les choses ne sont pas encore entérinées, mais cette année de stage me semble indispensable » précise Nicole Ostrowsky. « Regardez les études de médecine. Pourquoi fonctionnent-elles bien ? Parce que les étudiants sont très vite au contact des patients à l’hôpital tout en poursuivant la fin de leur cursus à la faculté. Pour l’enseignement c’est pareil. ».


L’enseignant : un communiquant

Dans Enseigner communiquer, Yves Quéré explique que « L’instituteur doit s’écouter parler, c’est-à-dire, se mettre à la place de l’écolier ».

Il a résumé dix points importants dans le chapitre intitulé : Les10 mandements de la communication, applicable également à l’instituteur :
1. Ton exposé prépareras et construiras soigneusement
2. Un seul sujet tu traiteras évitant tout égarement
3. Au style d’abord tu veilleras
4. Ce que le plus tu soigneras ce sera le commencement
5. L’auditeur tu respecteras, c’est lui, non toi, l’être important
6. Des « power point » tu présenteras mais sans excès
7. Au public tu t’adresseras, pas au tableau ni à l’écran
8. Au temps prescrit tu te tiendras
9. Aux commentaires tu répondras sans éluder brièvement
10. Un bon repos alors prendras, communiquer, c’est épuisant !

L’école primaire ailleurs dans le monde : l’exemple de la Chine et de l’Inde

Yves Quéré connaît bien la Chine pour avoir vu l’application de La main à la pâte dans ce pays, sous le nom Learning by Doing.

Il a pu constater que l’enseignement d’une manière générale y est très « vertical » : le professeur délivre son savoir, les élèves écoutent. Il fau ajouter à cela la pression sociale qui pèse sur le dos des jeunes élèves. Enfants uniques le plus souvent, certains enfants de 6-7 ans se suicident pour de mauvais résultats à l’école, décevant les espoirs de leurs parents.

En Inde, les classes sont composées 60 élèves en moyenne. Chose rare, les élèves bénéficient de quatre séances de science par semaine. Il est intéressant de voir que l’Inde a choisi de rénover ses programmes de science par la pluridisciplinarité :
Ce ne sont pas la physique, la chimie, la biologie qui sont enseignées de manière cloisonnées, mais LA science qui mêle ces trois disciplines à la fois.

Les auteurs de la rénovation de l’enseignement répondaient alors à la question suivante : qu’est-ce qu’un jeune doit connaître à la fin de la 3e pour être un citoyen de l’Inde moderne, s’il termine ses études à ce moment là ?

En France des expériences de pluridisciplinarités sont réalisées dans des collèges volontaires.


Nicole Ostrowski et Yves Quéré

Nicole Ostrowsky est professeur émérite à l’université de Nice Sophia-Antipolis, auteur de L’agenda de l’apprenti scientifique, paru aux éditions de La Martinière-jeunesse en 2009.

Yves Quéré est physicien, membre de l’Académie des sciences.
Investi avec Pierre Léna et Georges Charpak dans La Main à la pâte, auteur de Enseigner communiquer, paru aux éditions du Pommier en 2008.



En savoir plus :


- Yves Quéré, membre de l'Académie des sciences
- Yves Quéré sur Canal Académie

La Main à la pâte

Nicole Ostrowsky, L'agenda de l'apprenti scientifique, éditions De La Martinière Jeunesse 2009

Yves Quéré, Enseigner, communiquer : Un art, ou un métier ?, éditions du Pommier, 2008


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