Shimon Peres en visite à l’Académie des sciences

Réception du président d’Israël le 11 mars 2008 à l’Institut de France
Gabriel de BROGLIE
Avec Gabriel de BROGLIE de l’Académie française,
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Le président de l’Etat d’Israël Shimon Peres a été invité à l’Institut de France pour rencontrer les membres de l’Académie des sciences, le 11 mars 2008, dans le cadre de l’amitié franco-israélienne et de la coopération culturelle scientifique et technologique qui lie ces deux pays. Ecoutez le président israélien en hébreu. Les allocutions du chancelier de l’Institut Gabriel de Broglie ainsi du président de l’Académie des sciences Jules Hoffmann le précédent.

La coopération culturelle, scientifique et technologique avec Israël remonte à près d’un demi-siècle, avec la signature d’un accord bilatéral de 1959.

Israël est l'un des pays avec lequel l'Académie des sciences a noué le plus de contact scientifiques directs. D'ailleurs deux grands scientifiques israeliens, Ephraïm Katzir, connu pour ses travaux sur les biomolymères, et Michael Sela, sont associés étranger à l'Académie des sciences.

Israël figure parmi les leaders mondiaux dans les industries de haute technologie et dans la création de nouvelles entreprises basées sur les résultats de la recherche scientifique. Ce pays compte en effet à ce jour plus de 4000 entreprises tournées vers les technologies de pointe – ce qui représente la plus haute concentration mondiale, en dehors peut-être de la Californie, mais, bien en avance sur la France.


Shimon Peres, élu Président d’Israël le 13 juin 2007
© David Shankbone

La communication du président israélien Shimon Peres est en hébreu. Voici la traduction française de son discours :

«Parmi les innombrables accomplissements de l’humanité, une place d’honneur est sans aucun doute réservée au langage. Les autres inventions, telles que la roue, l’agriculture, ou la pince à linge, ont entraîné des changements dans notre existence matérielle, mais l’apparition de la langue est ce qui a fait de nous des êtres humains. Les autres inventions sont de moindre importance par rapport au langage. Car toute chose jamais accomplie dépend de l’existence de la langue et en découle.

«Mais la langue est de prime importance, non seulement pour avoir précédé aux autres inventions. Elle est en soi un outil sophistiqué, fondé sur une idée simple mais géniale : cette invention merveilleuse sait produire entre vingt cinq et trente tons et une infinie variété d’expressions qui ne ressemblent en rien à ce qui se passe dans notre esprit mais qui nous permettent de partager ses secrets avec autrui. Le langage est la plus grande invention de l’humanité « sauf qu’il n’a jamais été inventé » ainsi écrit Guy Deutsch.

«La langue est le port de départ duquel partent nos navires de Culture et de Sciences vers des espaces lointains, vers de profonds océans.

«Ce sont ces voyages qui changent nos vies. Pendant des dizaines de milliers d’années, nous avons vécu dans un monde agricole. L’agriculture était le moteur de l’économie mondiale, la base de notre subsistance. C’est pourquoi la terre était une valeur suprême. Elle a fait en sorte que notre globe soit divisé en parcelles et en Etats délimités par des frontières et coupés par des barrières. La terre fut aussi la cause principale des guerres. Chaque peuple battit des armées pour défendre sa terre ou étendre son territoire. La division territoriale allait main dans la main avec l’identité nationale. Elle a établi des gouvernements à la fois territoriaux et nationaux.

«Elle a même évoqué des sentiments religieux à l’égard de Forces Suprêmes (idoles, puis Dieu(x)) qui contrôlent les pluies et bénissent les récoltes. C’est vers Elles que nous dirigeons nos prières.

«Entre temps, le navire de la Science découvrait de nouveaux continents. Et créait un Age Nouveau.

«La richesse n’est pas uniquement fondée sur l’agriculture (qui de 50 % de l’économie mondiale est aujourd’hui descendue à 1 %) mais aussi sur la connaissance. La connaissance a pris le contrôle de l’agriculture : avec moins d’eau, moins de terre, moins de travail, et à l’aide du génie biologique, on obtient de meilleures récoltes et de nouvelles variétés.

«La connaissance n’a bien sûr pas de frontières. La police ne peut l’arrêter, les armées ne peuvent la conquérir. Les distances ne lui font pas peur. La communication électronique leur a fait perdre toute espèce d’importance. Elle ne respecte pas les divisions ethniques car le monde entier est ouvert et toute personne peut l’acquérir, homme ou femme, noir ou blanc.

«La connaissance nouvelle a détrôné l’Histoire. Plus les nouveaux savoirs s’accumulent, plus les anciens ternissent. La connaissance a créé et créera encore de nouveaux âges. Et chaque âge sera sans précédent, sans histoire antérieure. Parce que ce que nous connaissons a déjà vieilli. Et ce que nous avions stocké, s’est usé. Nous participons à une aventure saisissante qui part vers l’inconnu en quête des mystères de la Nature.

«Les nouvelles connaissances ont rendu obsolètes le système traditionnel de gouvernement. Les nouvelles entreprises mondiales n’ont ni armées ni police ni lois. Elles n’en ont pas besoin.

«La mondialisation est surtout fondée sur la bonne volonté : sur la qualité de ses produits, sur l’efficacité de ses marchés, sur la transparence et la confiance de ses acteurs dispersés aux quatre coins du monde ; le passé n’est donc pas ce qu’il était et l’avenir n’a rien de la tradition.

«Ce qui du passé reste d’actualité ne sont pas les événements historiques mais plutôt les valeurs historiques : l’esprit, la culture, la sagesse. L’esprit ne vieillit pas. La culture ne s’use pas. La sagesse ne dégénère pas. C’est pourquoi nous voulons conserver les valeurs historiques même si la valeur du patrimoine historique diminue.

«Les valeurs sont portées par le langage. Et si la science nous délivre un passeport, le langage nous accorde une carte d’identité.

«Le peuple français préserve avec rigueur ces deux caractéristiques. Ses valeurs sont gravées sur ses étendards et ses intellectuels veillent à ce que l’innovation ne s’endorme pas. Il semble que pour les Français, le conservatisme soit synonyme de sécheresse, d’ennui mortel.

«Vos académies éduquent génération après génération à être vieille comme la sagesse et révolutionnaire comme la science.

«La France est une civilisation en soi. Pour parler français, il faut naître avec cette langue admirable dont la musique ne cesse jamais et qui est la mère du rationalisme. Elle nous permet à la fois de luire au soleil et de nous cacher dans son ombre.

«Israël est un petit pays. Et le peuple juif né sur son sol a créé les 169 mots qui composent les Dix Commandements, devenus notre acte de naissance et le titre d’identité de la civilisation occidentale. Ces Dix Commandements ont été écrits en hébreu. Une langue qui a un regard sur le passé, un espace pour le futur et qui manque d’impatience pour le temps présent. Et nous sommes fiers que la renaissance du Peuple juif ne consiste pas uniquement en un retour de la patrie mais aussi en un retour à sa langue. Nos enfants parlent la langue des Prophètes.

«Nos Prophètes n’étaient pas doués pour les relations publiques. Ils nous ont injecté les germes d’un mécontentement permanent qui est la source de notre créativité. Et depuis, nous aspirons à être grands comme les Dix Commandements et innovateurs comme la nanotechnologie.

«Peu étonnant donc que nous nous sentions proches de la France ; de la France de la culture traditionnelle, de la France de la curiosité audacieuse et de la France de la Sagesse.

«Nous sentons que nous avons beaucoup à apprendre de vous. Et que nous avons une base commune pour un dialogue à la fois historique et scientifique. En effet, nous venons juste de fonder un établissement commun consacré à l’étude de la science de la complexité, une discipline traitant d’un large éventail de sujets : de la recherche biologique aux sciences du comportement, du passé lointain aux visions de l’avenir.

«C’est dans cette entreprise commune que nous nous ferons face en tant que peuples assoiffés de culture, en tant que peuples porteurs de valeurs.

«Ce qui nous unit est donc la créativité permanente, héritée de nos parents et que nous léguerons à nos enfants.

«C’est là un formidable défi pour lequel je vous remercie.»

Ecoutez Le chancelier de l'Institut de France, monsieur Gabriel de Broglies, le président Jules Hoffmann, et monsieur le Président israélien Shimon Peres, en cliquant sur la barre d'écoute, en haut de la page.

En savoir plus :
- Shimon Peres, prix Nobel de la paix 1994
- Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut
- Jules Hoffmann, président 2008 de l'Académie des sciences

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