Esclavage, Indigène

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jean Pruvost, lexicologue, nous livre l’étymologie des mots « esclavage » et « indigène ».

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots308
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De l’esclavage slave à celui d’Élise


« On peut rapporter l’origine des principales nations de l’Europe à …la race latine, la race germanique, et la race esclavonne », affirme Mme de Staël dans De l’Allemagne en 1810. Les Esclavons désignaient en effet les peuples originaires des pays slaves. Or, c’est justement parce qu’au cours du haut Moyen Âge, nombre de Slaves furent réduits en esclavage dans les Balkans par les Germains et les Byzantins, que leur nom, en latin médiéval, sclavus, fut adopté pour cette odieuse condition, quel que soit le peuple concerné. Quant au« servus », l’esclave romain, il restera en service, si l’on peut dire, en tant que serf du Moyen Âge, esclave du seigneur. Ce qui permet d’ailleurs à J. Delacour, dans son Dictionnaire des mots d’esprit (1976), de définir l’esclavage comme un serf-service !
Dans son Dictionnaire universel (1690), Furetière rappelle la réalité tangible de l’esclave, « captif réduit sous la puissance d’un maître, soit par naissance, soit par fortune de guerre », la mauvaise fortune en l’occurrence... Le « trafic d’esclaves Nègres » y est aussi évoqué en soulignant que, dès que l’esclave « peut aborder en France, il est libre ». Il faudra cependant attendre Victor Schoelcher et le décret sur l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848 pour lancer l’exemple et avoir meilleure conscience.
Viendra ensuite l’esclavage moderne de la main-d’œuvre étrangère, qui a fait inventer à J.-F. Kahn un synonyme pour ce type d’asservissement : l’immigrationnisme. En définitive, le seul esclavage qui ne soit pas honteux, c’est celui du cœur, celui éprouvé par exemple chez Molière, dans L’Avare, pour « la charmante Élise » dont la vue rend immédiatement « esclave de ses beautés ».

L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises en 1848, Auguste François Biard ( 1798-1882 )
huile sur toile (Salon 1849)<br /> Versailles, musée national du château et de Trianon, MV 7382<br /> (C) Photo RMN \/ © Gérard Blot


Un indigène de Pontoise à l’Opéra

Construit sur les éléments latins gena et indu, c'est-à-dire, né, issu (gène) de l’intérieur, le mot indigène désigne étymologiquement celui qui est du pays, et c’est ainsi qu’il apparaît chez Rabelais avec pour contraire le mot exotique. On oppose par exemple les plantes indigènes aux plantes exotiques. Le mot est alors valorisant et, au XVIIIe siècle, l’abbé Prévost, auteur d’un Dictionnaire portatif, précisera même que les indigènes, « habitants naturels d’un Païs », sont à rapprocher du latin Indigetes, désignant les héros « qui avoient mérité, par de grandes actions, d’être élevés au rang des Dieux ».
Au même moment cependant, s’installe une nouvelle opposition entre les colonisateurs et ceux qui, selon la formule encore offerte dans le premier Petit Larousse (1905), vivent « dans un pays depuis un temps immémorial », et qui vont être hélas exploités ou exterminés. Au reste, dans le Dictionnaire universel (1856), Lachâtre en fait déjà le constat presque résigné : « La civilisation des États-Unis refoule et détruit les Indigènes de l’Amérique ». Tout aussi ignominieusement, à l’indigène exploité fera suite l’indigène enrôlé ; dans la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie (1935), on mentionne effectivement les troupes indigènes, « recrutées parmi la population indigène des colonies et des pays de protectorat ». Il était temps qu’au seuil du XXIe siècle soient rappelées la souffrance et la dignité des indigènes ainsi traités.
Quant à un autre sens péjoratif du mot, « habitant d’une localité », un exemple recensé chez Lachâtre irritera pour le moins les habitants de Pontoise : « Un indigène de Pontoise égaré au bal de l’Opéra » ! De quoi élever une protestation indignée, d’autant plus que ce dernier adjectif représente le juste anagramme d’indigène.

Armée de Aït Ndhirs en direction de Fès







Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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