Prétendant et parrainage

L’étymologie des mots par Jean Pruvost, lexicologue
Avec Jean Pruvost
journaliste

Le prétendant est-il seulement l’homme qui aspire à la main d’une femme ? L’étymologie, rappelée ici par Jean Pruvost, explique pourquoi ce mot ne devrait pas avoir de féminin ! Quant au parrain, il a changé d’orthographe et même, de fonction. Avec le lexicologue Jean Pruvost, tous les mots ont une histoire !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots311
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Des prétendants de Furetière à Beauvoir !
Deux exemples pour le mot « prétendant » : « Dans les eslections il y a de la brigue entre plusieurs prétendants. Il y a tant de prétendants à la Couronne, à la Papauté, à ce Benefice, à cette dignité ». De quand les dater ? L’orthographe désuète ne nous trompe pas : il s’agit du XVIIe siècle et en l’occurrence du Dictionnaire universel de Furetière (1690). Le prétendant y est alors défini par la personne « Qui aspire à quelque chose, qui a une esperance bien ou mal fondée de la posséder ».

Quatre ans plus tard, dans le Dictionnaire de l’Académie (1694), qui offre les mots dans l’ordre étymologique, c’est sous le verbe tendre que s’installent prétendre et prétendant, issus du latin praetendere, tendre à se situer en avant (pré). L’Académie évite alors prudemment le sujet religieux, mais l’exemple reste éloquent : « Il y a beaucoup de prétendants à la charge de Dame d’honneur de la Reine, tant de prétendants se nuisent les uns aux autres ».

À dire vrai, le prétendant représente déjà depuis le XVIe siècle l’homme qui aspire à la main d’une femme. Or, courtoisie oblige, l’usage du féminin dans ce sens est pour ainsi dire inexistant : c’est à l’homme de faire sa cour. Au reste, pas toujours en tout bien tout honneur, si on en juge au propos de Balzac cité par P. Larousse : « La meute de prétendants poursuivait toujours Eugénie et ses millions »… On préfère Huysmans qui souligne la « frimousse tentante » de l’une des sœurs Vatard, insensible à « ses prétendants ». Quant à Simone de Beauvoir, qui n’est pas poète dans l’âme, elle s’intéressait dans Le Deuxième sexe (1949) au tout premier prétendant : « Le spermatozoïde est généralement émis en quantité beaucoup plus considérable et chaque ovule a de nombreux prétendants ». Avait-elle prévu que certains ovules soient des « prétendantes » !


Parrainage : du parrain qui soutient au parrain qui tue

« On appelait autrefois dans les combats singuliers Parrains, ceux que les combattants choisissaient pour les accompagner, pour empêcher la surprise, et pour leur servir de témoins » rappelle l’Académie en 1694.
Et dans cette lutte du candidat à la victoire, le parrain se révélait précieux : il prévenait des mauvais coups. Il ne s’agissait cependant que d’un sens second pour le parrain, issu du latin patruus, oncle paternel.

Le premier sens, déterminé depuis le Moyen âge et repris par Furetière, en 1690, restant bien sûr « celui qui tient et lève un enfant sur les fonts de baptême », « lui impose son nom », et « contracte une alliance spirituelle avec les père et mère de l’enfant ».

En principe, en France, tout bébé pouvait bénéficier, s’il s’agissait d’un garçon, de deux parreins – c’est ainsi que Furetière l’orthographie – et d’une marraine, ou bien de deux marraines et d’un parrein, pour une petite fille. De son côté, la noblesse allemande multipliait les parrains riches, pour recevoir force cadeaux…

Il faudra attendre 1928, dixit notre bible lexicographique, le Trésor de la langue française, pour que soit attesté le parrainage, qui n’est d’abord que la « qualité », la « fonction de parrain, de marraine ». Puis très vite, les lexicographes l’attesteront en tant que « soutien d’une personne » demandant « à être admise dans un ordre, une société ». Il ne restait plus qu’à en élargir le sens à l’aval donné à des candidatures par des maires, acceptant de devenir en somme les parrains et marraines de candidats, à la présidence par exemple.

On ne peut s’empêcher alors de penser à deux types de parrains qui ont disparu, le premier décrit par Cicéron, qui conduisait en grande pompe les charriots festifs dédiés aux Dieux, exerçant, dit Furetière, « une fonction semblable à celle des jeunes enfants qu’on habille en Anges dans les cérémonies ecclésiastiques pour y jeter des fleurs, porter des encensoirs et des lumières », et celui, terrible, « qu’un soldat qui doit être passé par les armes, choisit pour lui tirer le premier coup ». Diable de parrainage : il donne des ailes ou il supprime !



Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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