Démocratie et ivoirité. Une chronique de François d’Orcival

de l’Académie des sciences morales et politiques
François d’ORCIVAL
Avec François d’ORCIVAL
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

La démocratie vient d’être interrogée, pour ne pas dire ébranlée, par les élections en Côte d’Ivoire. La stabilité du pays est-elle désespérément à oublier ? Il n’est pas inutile de se remettre en mémoire quelques données essentielles sur ce pays. François d’Orcival reprend ici, au micro de Canal Académie, la chronique qu’il donne, le samedi, dans Le Figaro Magazine.

Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 11 décembre 2010. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire.

Deux Côtes d’Ivoire ? Cela signerait le discrédit des Nations unies et l’effacement de la France. Il y a eu un élu à la présidentielle, Alassane Ouattara, mais son rival, Laurent Gbagbo, l’ami de la gauche, tient l’armée. Pour combien de temps ? C’est toute la question. Que pouvait faire la « communauté internationale » - sauf à précipiter le pays dans une guerre civile qu’il a déjà fallu arrêter en 2003 et en 2004 ? Elle a tenté la médiation de l’Afrique du sud. Elle en tentera d’autres. Mais la démocratie ivoirienne ne fonctionne pas comme ça.

Ce fut une perle de l’Afrique. Houphouët-Boigny en avait fait un modèle de croissance et de stabilité. Il désigna un successeur, Henri Konan Bédié, qui fut élu en 1995, après la mort du chef, avec 96% des voix. Il était bien le dauphin. Mais à la Noël 1999, un groupe de soldats mécontents, conduits par un général, tente un coup. A Paris, Jacques Chirac et le premier ministre, Lionel Jospin, sont l’un et l’autre en congé. Erreur fatale : les putschistes renversent Bédié, là où trois camions de soldats français auraient suffi à ramener l’ordre. La Côte d’Ivoire éclate entre tribus du nord (musulmanes), de l’ouest, et du sud (chrétiennes). Le pays ne s’en remettra pas.

La richesse ivoirienne, créée avec les Français, avait attiré des émigrés en nombre des pays voisins. Sur ses 21 millions d’habitants, le pays compte bientôt un « étranger » sur quatre. Bédié avait donc imaginé le concept d’ivoirité pour fermer ses frontières électorales – excluant ainsi Ouattara, l’homme du nord. Le putsch libère les rivalités de toujours et allume les foyers de guerre civile. En 2003, les Français utilisent ce qui leur reste de crédit en confiant à Pierre Mazeaud (alors président du conseil constitutionnel) le soin de parvenir à un accord entre chefs opposés. Accord de Marcoussis confirmé à Ouagadougou (Burkina Faso) sous le parrainage de Blaise Compaoré. Cet accord, au lieu de le parachever, l’élection présidentielle le fait voler en éclats. D’où viendra la réconciliation ?

Point n’est besoin de l’Onu pour stabiliser un pays ; le voisin burkinabé est un bon exemple : avec une constitution qui prévoit que le président est élu pour cinq ans, renouvelable une fois, Compaoré est au pouvoir depuis 23 ans. Grâce à quoi, son pays si pauvre en ressources, a l’un des meilleurs taux de croissance de la région...

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