Jean sans Peur (1371-1419) : le prince de la Guerre civile (2/6) par Philippe Contamine

Deuxième portrait de la série "les grands Ducs de Bourgogne", par Philippe Contamine, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et l’historien Bernard Schnerb
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Traître à la nation, prince tyrannicide, Jean sans Peur, deuxième duc de Bourgogne de la dynastie des Valois, est entré dans l’Histoire avec une sombre réputation. Philippe Contamine, de l’Institut, et Bertrand Schnerb dessinent un portrait circonstancié de ce personnage, assassiné à Montereau, et du rôle qu’il joua dans les affaires politiques du royaume de France à l’époque du « roi fou » Charles VI.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : hist688
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Jean de Bourgogne, comte de Nevers : le souvenir de Nicopolis

Destiné à gouverner des principautés et des populations diverses, à légiférer et réglementer, à donner des ordres à des administrateurs et à des gens de finances, le futur Jean sans Peur reçoit une excellente formation intellectuelle.
Dans la période de formation du prince, l'épisode malheureux de la croisade de Nicopolis (1396, ville de l'actuelle Bulgarie) constitue une expérience douloureuse et décisive. Le souvenir des horreurs de la guerre, de la défaite et de la captivité sont des éléments déterminants de sa future existence.


1404, mort de Philippe le Hardi : avènement de Jean sans Peur


Jean Ier de Bourgogne, dit Jean sans Peur (1371-1419)

Par-delà la tombe, le nouveau duc maintient une fidélité absolue au personnage, tant admiré et tant aimé, de son père Philippe le Hardi et à la politique paternelle.
Comme le duc Philippe, Jean sans Peur est partagé entre la Bourgogne, la Flandre et la cour de France. Il ne bénéficie pas, cependant, du prestige considérable attaché à la figure de Philippe le Hardi, fils de Jean II le Bon et oncle de Charles VI et de son frère, Louis d'Orléans.

Jean sans Peur, en devenant duc, hérite d'une querelle qu'il n'a pas provoquée -mais qu'il radicalisera jusqu'au crime- entre les Maisons de Bourgogne et d'Orléans.




Un roi à demi fou : une régence impossible et de rivalités princières sanglantes




La folie à éclipse de Charles VI ne permet pas d'instituer une régence véritable. Le vide intermittent du pouvoir entraîne des tensions de plus en plus contradictoires entre le frère et le cousin du roi. Aux rivalités familiales au sein du Conseil royal s'ajoutent des oppositions politiques fondamentales. Deux conceptions différentes de l'État cherchent à s'imposer selon les modalités classiques d'un parti au pouvoir et de son opposition, à caractère plus ou moins démagogique.



1407, le meurtre du duc Louis d'Orléans, frère de Charles VI

Au début de l'année 1407, le duc de Bourgogne et le duc d'Orléans sont de nouveau face à face.

Louis Ier d’Orléans (1372-1407), duc d’Orléans et chef du parti des Armagnacs



Depuis 1404, Jean sans Peur a renforcé sa position. Sa popularité est à la mesure de l'impopularité de son adversaire. Louis doit contre-attaquer et saper la puissance renaissante de la Maison de Bourgogne.
La sécurité et la prospérité de ses seigneuries, sa situation financière, la crainte incontestable d'être lui-même victime d'un assassinat, la part importante de ses conseillers dans la décision finale sont autant de facteurs qui conduisent Jean sans Peur à commanditer le meurtre de Louis d'Orléans, en novembre 1407, rue Barbette à Paris.
Les meurtres politiques ne sont pas rares mais la qualité de la victime est, ici, exceptionnelle.


Le duc Jean fait plaider sa cause au nom du tyrannicide. La nouvelle jette un trouble extraordinaire à la cour de France et dans le pays tout entier, les princes sont indignés ; mais Jean sans Peur est assuré de la fidélité absolue de son entourage bourguignon.


La guerre civile entre Armagnacs (du nom du beau-père du jeune Charles d'Orléans, fils du prince assassiné) et Bourguignons commence.

Les Anglais, appelés à l'aide par les deux partis en lutte, interviennent directement dans la politique française avec un objectif de conquête.
Après le désastre d'Azincourt en 1415, ils 'approchent de Paris. Le danger est imminent, on s'efforce de réaliser une union nationale contre l'Angleterre : l'entrevue de Montereau entre le dauphin Charles et le duc de Bourgogne est une tentative de paix.



Le meurtre de Montereau : le 10 septembre 1419


Dans une logique de vengeance privée exacerbée depuis 1407, Jean sans Peur est tué à coups de hache par les partisans du dauphin Charles sur le pont de Montereau. Le futur Charles VII sera, sans doute, toujours taraudé par le remord d'avoir accepté l'assassinat de son cousin et d'avoir, ainsi, relancé la guerre civile en France.
Le meurtre du 10 septembre 1419 brise pour longtemps toute possibilité de réunification politique et militaire face à l'envahisseur.
Fils et successeur de Jean sans Peur, Philippe le Bon, se rallie à la cause anglaise dès la fin de 1419.
Le Traité de Troyes est scellé en mai 1420.





En savoir plus :

Philippe Contamine est membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, historien médiéviste, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne, ses travaux portent sur la guerre, l'État, la noblesse, l'économie et la vie privée entre le XIIIe et le XVe siècle.

Bertrand Schnerb, spécialiste de la société et des institutions bourguignonnes des XIVe et XVe siècles et professeur d'histoire médiévale à l'Université de Lille III est l'auteur de :

-* Les Armagnacs et les Bourguignons : la maudite guerre publié chez Perrin en 2001 (après une 1ère édition en 1998)

-* l'État bourguignon: 1363-1477, publié chez Perrin en 1999, et réédité chez Perrin dans la Collection Tempus en 2005

-* Jean sans Peur, Le prince meurtrier biographie Payot en 2005

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