"Petites phrases" de Jean-Marie Rouart extraites de son livre : La guerre amoureuse

Quelques phrases bien choisies à apprécier et à méditer !
Jean-Marie ROUART
Avec Jean-Marie ROUART de l’Académie française,

Jean-Marie Rouart, de l’Académie française, auteur de La guerre amoureuse, offre dans son livre de bien belles phrases... L’amour qui ne dure pas, son ivresse, son imbécilité... Des "petites phrases" qui ne sont petites qu’en apparence tant elles sont, en vérité, lourdes de sens...

Voici 13 phrases ou courts extraits du dernier livre de Jean-Marie Rouart, de l'Académie française, publié chez Gallimard et intitulé La guerre amoureuse. Un roman sombre, profond, aux accents parfois raciniens, qui raconte la lente dérive d’un homme entraîné dans une aventure sadomasochiste par une belle étudiante aux allures d’ingénue. Les deux premières phrases choisies concernent la démarche masochiste :

- «J’éprouvais, dit le narrateur, l’ivresse d’être tombé au plus bas de moi-même».

- Ou encore : «Bizarrement je n’étais pas satisfait, je souffrais de ne plus souffrir, j’avais mal de ne plus avoir mal, une sorte de vide.»

- Une phrase ensuite où, à travers le narrateur, Jean-Marie Rouart reprend un thème qui lui est familier : il n'y aurait pratiquement jamais d’amour durablement heureux, le bonheur serait dans les débuts. « J’étais dans cette radieuse période de l’amour où on est assez attaché à une femme pour désirer sa présence sans que cet attachement soit encore assez fort pour être douloureux. »

- Ce que confirme un marabout rencontré en chemin : « Je vois le bonheur, le vrai, celui qui ne dure pas. »

- Autre phrase qui traduit l’idée qu’il n’y a de bonheur en amour qu’à travers de courts instants souvent vécus d’ailleurs dans une certaine inconscience de la portée réelle de la situation. « J’étais frère du soleil, amant de la mer, de la pinède parfumée, des nuits tièdes, des crépuscules incendiés ».

- Un autre extrait à présent qui illustre combien dans les relations amoureuses il faut se méfier des premières impressions. « Sous l’effet d’une étrange métamorphose je n’avais plus devant moi la jeune fille tendre, généreuse, égarée, souvent lunaire que j’aimais ; mais une aigre syndicaliste hérissée de revendications et d’exigences légales. Puis sous ses traits juvéniles je voyais apparaître une belle-mère récriminatrice, despotique, montant sur ses grands chevaux pour réclamer le respect des devoirs moraux, porte-parole de l’intransigeante loi sociale qui tentait de débusquer en moi l’éternel amant insouciant. »

- Derrière tout cela l’idée chez Jean-Marie Rouart qu’en amour les rapports sont le plus souvent dominés par une lutte de pouvoir, rapports de force que l’on retrouve dès qu’il s’agit de séduire. Et même très tôt. Témoin cette phrase : « Les jeunes filles détestent les raisonneurs qui ne se contentent pas de les approuver avec des yeux de merlans frits pour manifester qu’ils sont sous leur charme. »




- Jean-Marie Rouart ne croit pas donc beaucoup en l’amour durable, il ne croit pas beaucoup non plus en l’amour par le sexe. « Nous avions atteint un équilibre dans cet état de confiance non passionnelle, et cette lente desérotisation que cherchent au fond tous les couples et dont le mariage est l’expression la plus patente afin d’être débarrassés de l’irritante question du sexe, facteur d’insatisfaction, d’angoisse, de jalousie, de nervosité inutiles. »

- Un tout autre registre maintenant, trois phrases sur la portée et la dignité du travail d’écrivain : « Ecrire ce n’est pas seulement aligner des mots sur le papier, c’est se retrancher du monde dont on observe la mécanique et les drames pour accoucher de la vérité de soi-même ».

- Et encore « Ecrire c’est vouloir être aimé, aimé parce que compris, donc vraiment aimé pour ce que l’on a d’unique sous les apparences, les mensonges et les malentendus. »

- D’où la violence du narrateur à l’encontre d’une race de pseudo-écrivains : « Je ne parle pas de ces primitifs qui inondent les librairies de leur production, les petits parfumeurs des lettres, ces romanciers et romancières qui déversent le trop plein de leurs insatisfactions sentimentales et qui se servent de la littérature comme d’un pot de chambre de leurs émotions. »

- Pour terminer deux extraits qui terminent de l’importance de la critique sociale dans l’œuvre de Jean-Marie Rouart et expriment son analyse très aiguë du pouvoir trouble de l’argent : « C’était moins un vestige irréductible de bonté d’âme qui me taraudait que mon désir d’éblouir Helena en lui présentant de ces gens très riches dont la fréquentation, on ne sait pourquoi, a quelque chose de flatteur. J’avais beau mépriser la clique de Birgitt, elle m’impressionnait. C’est par ce processus que le snobisme asservit les plus belles et plus austères intelligences. L’argent, privilège de tant d’imbéciles, ne donne pas seulement droit à d’honorifiques places à table ; il corrompt le jugement en plaçant au même niveau les grands artistes et les mercantis qui se pavanent en acquérant leurs œuvres. »

- Et encore cette réflexion qui pourrait être du Bernanos : « Tout le monde avait donc son projet de fondation, j’étais le seul à n’en pas avoir. Il faut dire que j’étais pauvre et honnête de surcroit. Pauvre parce que honnête ou honnête parce que pauvre ? Presque tout le christianisme et le marxisme se résumaient dans cette question. Il n' y avait donc que les riches qui avaient envie de faire du bien autour d’eux. Et surtout les riches qui s’étaient rempli les poches par des pratiques douteuses. Mais ce bien qui les démangeait, pourquoi ne le faisaient-ils pas simplement tous les jours sans fondation, sans avocat, sans cabinet de relations publiques. C’était un mystère, un mystère de pauvre, il aurait fallu peut être que je sois riche pour le percer ».

Jean-Marie Rouart a été reçu à l’Académie française le 12 novembre 1998.

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