Où stocker le CO2 ? (3/3)

Avec François Guyot, Alain Prinzhofer et Pierre Le Thiez

Le CO2 peut-il être stocké en lieu sûr sous terre ? Après les deux parties consacrées à la capture du gaz carbonique dans l’atmosphère et au méthodes de stockage, Canal Académie retransmet la troisième partie de la séance de l’Académie des sciences qui se déroulait en mai 2009, portant sur les lieux de stockage. Écoutez les interventions de François Guyot de l’Institut de Minéralogie et de Physique des Milieux Condensés, Alain Prinzhofer de l’Institut Français du Pétrole et Pierre Le Thiez, de la Société GEOGREEN.

_ La séance de l’Académie des sciences du 19 mai 2009 était consacrée à la séquestration du CO2. En effet, une des solutions envisagées consiste à capturer le gaz carbonique émis par des sites industriels, et à le stocker dans des formations géologiques profondes. Canal Académie vous propose d’écouter la retransmission de cette séance en trois parties.
Dans cette troisième et dernière partie, retrouvez les interventions de François Guyot, Alain Prinzhofer et Pierre Le Thiez

Retransmission de de la séance en trois parties :
Ecoutez la suite :
- Comment capturer le CO2 émis dans l’atmosphère, par Claude Allègre (1/3)
- Stocker le CO2 sous terre en lieu sûr (2/3)

Genèse des carbonates et stockage géologique de
CO2



Par François Guyot de l'Institut de Minéralogie et de Physique des Milieux Condensés (IMPMC) et de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP)


Au cours de cet exposé, on rappelle par quels mécanismes le CO2 atmosphérique terrestre est naturellement principalement stocké sous forme de carbonates solides : l’altération des silicates
conduit à la formation d’ions qui précipitent lorsque la saturation par rapport au solide est atteinte. Les carbonates solides ainsi formés sont alors intégrés dans un cycle géologique long et restent stables pendant plusieurs dizaines de millions d’années, ce qui rendrait ce mécanisme
attractif pour une séquestration pérenne de CO2 excédentaire. On montre toutefois que, aux échelles de temps pertinentes pour limiter la hausse anthropique du CO2 atmosphérique, ce processus jouera un rôle négligeable, à moins que la cinétique de réaction de production des
carbonates solides soit accélérée d’au moins un ordre de grandeur par rapport aux moyennes généralement observées dans les systèmes géologiques. Quelques exemples naturels de cinétiques potentiellement augmentées sont introduits dans l’exposé d'Alain Prinzhofer.

Certaines rcohes dans l’Oman, le Canada et la Nouvelle-Guinée, sont formées de carbonates de calcium



Les facteurs des cinétiques de dissolution des silicates et de
précipitation des carbonates, étudiés en laboratoire en particulier par plusieurs groupes en France (Grenoble, Montpellier, Nancy, Paris, Toulouse, liste non exhaustive) sont présentés et la dissolution des silicates est généralement identifiée comme la principale étape limitante. François Guyot montre que cette limitation est probablement liée au développement de couches de silice SiO2 plus ou moins passivantes à la surface des silicates, la question de la prédiction du degré de passivation dans une condition donnée, liée aux impuretés dans la couche qui en modifient la microstructure, restant largement ouverte. On présente enfin le potentiel de genèse des carbonates par les microorganismes de la biosphère souterraine dans le cadre d’injections de CO2 dans des aquifères salins profonds. Ce dernier aspect, extrêmement complexe car couplé au cycle de la biomasse, présente des aspects potentiellement positifs (stockage de carbone sur le long terme) et négatifs (diminutions d’injectivité, génération de gaz acide et/ou à effet de serre) qui nécessiteraient une meilleure connaissance de la biosphère souterraine pour être correctement
modélisés.



Séquestration du CO2 dans les roches volcaniques et ultrabasiques


Par Alain Prinzhofer de l'Institut Français du Pétrole, Institut de Physique du Globe de Paris


La séquestration du CO2 dans les milieux géologiques est envisagée soit en phase gazeuse, soit en solution dans l’eau des aquifères profonds, soit sous forme de carbonates suite à une minéralisation. Si les bassins sédimentaires sont des candidats pour piéger le CO2 sous forme fluide dans des structures géologiques relativement fermées (pièges pétroliers, aquifères profonds) grâce à de bonnes roches couvertures (argiles, évaporites), il est très difficile d’y transformer le CO2 en carbonates, son injection induisant plutôt des dissolutions de minéraux préexistants que des précipitations. Les roches basiques et ultrabasiques (roches volcaniques, ophiolites, …) présentent moins de pièges structuraux fiables, mais permettent d’envisager une
réactivité chimique très différente entre le CO2 et les minéraux environnants.
En effet, ces roches ont des concentrations négligeables en carbone, et libèrent après altération d’assez grandes concentrations en cations Ca2+, Mg2+ et Fe2+, qui autorisent la formation de carbonates
après piégeage de carbone environnant. Ceci induit un fort potentiel de minéralisation du CO2 injecté. D’autre part, et particulièrement dans les roches ultrabasiques, le fer présent dans ces roches sous forme ferreuse change d’état d’oxydation au cours de leur altération
(serpentinisation). La transformation du fer ferreux en fer ferrique s’accompagne d’une réduction de l’eau en hydrogène, ainsi que d’une évolution de l’eau vers des propriétés basiques et réductrices. Ce système serpentines/hydrogène/eau, mis en contact avec du CO2,
peut soit former des carbonates instantanément à basse température, soit réduire le CO2 sous forme de méthane abiotique à plus haute température. La première réaction permet une carbonatation instantanée et une séquestration du CO2 sous forme solide, la deuxième permet une transformation chimique du CO2, résidu de consommation énergétique, en nouvelle source d’énergie. Cependant, suivant l’une ou l’autre de ces réactions, des contraintes doivent être
prises en compte pour rendre le procédé fiable et efficace : le contrôle de la perte d’injectivité dans le cas d’une carbonatation instantanée, le risque de fuites du méthane produit naturellement dans les roches ultrabasiques (gaz explosif et produisant un effet de serre bien
supérieur au CO2 source). La connaissance précise des conditions de réactivité du CO2 dans ces milieux est indispensable pour envisager son devenir suite à son injection.


Captage, transport géologique du CO2 : perspectives scientifiques et économiques


Par Pierre Le Thiez, de la Société GEOGREEN, Rueil-Malmaison

Les technologies de captage, transport et stockage du CO2 (CTS) sont devenues un élément clé notamment dans la stratégie Européenne de réduction des émissions de CO2. Cette filière particulièrement adaptée aux émissions stationnaires de grande taille pourrait en complément des
autres contributions (économies d'énergie, énergies renouvelables) réaliser une réduction de l'ordre de 15% de l'ensemble des émissions de CO2 requises par l'Europe en 2030.
Pierre Le Thiez rappelle les point-clés techniques et économiques relatifs au déploiement commercial de cette filière attendu à partir de 2020, succédant à une phase pilote en train de se structurer progressivement aujourd'hui. Sur le stockage géologique Pierre Le Thiez insiste sur les paramètres dimensionnants du réservoir tels que
l'injectivité et les surpressions associées aux quantités de CO2 qu'il est nécessaire d'injecter. Il montre par ailleurs que le stockage géologique ne constitue pas l'élément le plus coûteux dans la chaîne CTS, mais qu'en raison des temps de développement et d'incertitudes techniques et économiques, il se situe sur le chemin critique en termes d'investissement et de timing et concentrera également l'essentiel des contraintes en matière d'environnement et d'acceptabilité sociétale.

En savoir plus :

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- Comment capturer le CO2 émis dans l’atmosphère, par Claude Allègre (1/3)
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