Le cinéma français dans le monde par Jean-Jacques Annaud

Retransmission de la séance de l’Académie des sciences morales et politiques : la rigueur d’un état des lieux associée à la richesse des échanges entre académiciens
Jean-Jacques ANNAUD
Avec Jean-Jacques ANNAUD
Membre de l'Académie des beaux-arts

Le cinéaste Jean-Jacques Annaud, membre de l’Académie des beaux-arts est l’invité de ses confrères de l’Académie des sciences morales et politiques dans le cadre du thème annuel 2013 de l’Académie "La France dans le monde", initié par l’académicien Bertrand Collomb. Le point sur la place et le rôle du septième art français : une intervention passionnante suivie des questions de ses confrères et des réponses du cinéaste à brûle-pourpoint.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : es680
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À la veille de son départ en Chine pour un tournage qui durera un an, le cinéaste a indiqué que la plupart des cinéastes du monde rêvent d'être français parce qu’en France il y a un public qui aime le cinéma et des metteurs en scène qui ne conçoivent pas les films uniquement comme des machines à faire de l’argent. Il a poursuivi sur les spécificités du système français d'aide par l’État, via le Centre national du cinéma. Chaque spectateur voit 10% du prix de son ticket d’entrée alimenter un fonds qui permet d’aider les producteurs français, si bien que, paradoxalement, les succès du cinéma américain font vivre le cinéma français.

À l’issue de sa communication, Jean-Jacques Annaud a répondu aux questions que lui ont posées :
Jean Tulard, Bertrand Collomb, François d’Orcival, Georges-Henri Soutou, Xavier Darcos, Jean-Claude Casanova, Bernard d’Espagnat, Marcel Boiteux, Jean-David Levitte, Pierre Delvolvé, Jacques de Larosière, Alain Besançon, Yvon Gattaz et Marianne Bastid-Bruguière.

La renommée de Jean-Jacques Annaud n'est plus à prouver depuis longtemps. Rappelons pour mémoire que son premier film La victoire en chantant reçut l'Oscar du meilleur film étranger en 1976, un début et un succès qui n'ont pas écrasé le jeune cinéaste. Ses films La guerre du feu, Au nom de la rose, L'ours, L'amant, Stalingrad sont des œuvres cinématographiques que le public a accueillies avec le succès qu'elles méritent. Depuis 2007, il est membre de l'Académie des beaux-arts où il a été élu au fauteuil de Gérard Oury. Invité par ses confrères de l'Académie des sciences morales et politiques à s'exprimer au cours d'une de leurs séances, il a dressé devant eux un panorama complet de l'état du cinéma français sans langue de bois.

Quelques extraits

« Ma vision est très française, mais elle est un peu celle d'un Français de l'étranger. Je m'en réjouis car je ne me sens jamais aussi français que lorsque je suis à l'étranger et ce sentiment s'accompagne de beaucoup de fierté. Permettez-moi de vous en exposer la raison.

L'industrie artistique du cinéma a été créée en France grâce à une invention technologique de Louis Lumière. La petite boîte amusante de l'ingénieur bisontin qui permettait de montrer des photos animées a en fait, révolutionné le monde. Profitant de cette invention, Louis Lumière, Georges Méliès, la société Gaumont et la société Pathé sont devenus des « montreurs d'images » dans le monde entier. De 1895 à 1900, la France régnait sans partage. »

« Depuis longtemps, les représentations diplomatiques françaises aiment à répéter que le cinéma français est le deuxième de l'Occident. C'est tout à fait exact. En Europe, l'Angleterre a perdu ces cinéastes au profit des Majors américaines ; en Italie, Silvio Berlusconi ayant acheté les chaînes de télévision a acheté, à peu de frais, des programmes américains qui ont dissuadé les Italiens d'aller au cinéma. Les grandes cinématographies européennes se sont effondrées, à l'exception de la française.

Il est bon toutefois d'avoir en tête les proportions des parts de marché. Le cinéma américain représente environ 85% de la recette mondiale des salles de cinéma. Le cinéma français représente seulement 4%.. »

« La France produit 270 films par an, soit un par jour ouvrable. Les États-Unis en produisent deux fois moins, mais chaque film est dix fois plus cher. Et comme le prix de la place est le même, que l'on regarde un film français ou un film américain, les spectateurs préfèrent souvent monter dans la grosse Chevrolet plutôt que dans la Deux-Chevaux. La Deux-Chevaux a toutefois son charme et elle constitue non pas une alternative, mais l'alternative. »

« Toute assistance, qu'elle soit apportée à l'industrie ou aux arts, produit des effets pervers. Bien évidemment, il y a encore aujourd'hui une masse considérable de films qui n'ont quasiment pas de spectateurs, mais ça n'a guère d'importance puisque ces films sont pré-financés. Par ailleurs, je tiens à souligner que, dans tous les pays du monde, seul un film sur dix se rembourse et seul un film sur cent enregistre d'importantes recettes. L'industrie cinématographique est une industrie de prototypes. Or, quand on lance un prototype, dans quelque domaine que ce soit, on sait qu'il y a plus d'échecs que de succès. Un film qui ne perd pas d'argent, c'est une exception, et un film qui en rapporte, c'est une exception parmi les films qui n'en perdent pas. Que ce caractère d'exception parmi les exceptions soit renforcé par les dispositifs que vous avez cités, c'est ce dont je ne disconviens pas. Il y a les avances sur recettes, il y a les dispositions fiscales et aussi les quotas qui obligent à passer 80% de films français afin de pouvoir passer 20% de films étrangers. Ces mesures sont sans doute celles d'un autre âge, mais elles ont permis de sauver le cinéma français. Le même système a été adopté par la Corée, sur le modèle français, et l'on constate que le cinéma coréen fait preuve d'une très grande vitalité. »

Nous vous invitons à écouter l'ensemble de cette séance académique avec Jean-Jacques Annaud.

Jean-Jacques Annaud, 4 février 2013, Salle des séances de l’Académie des sciences morales et politiques
© Marianne Durand-Lacaze\/Canal Académie

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