Franck Sorbier, Maître d’art et créateur de l’habit d’académicien de Zao Wou-Ki

Rencontre avec le célèbre couturier dans son atelier
Wou-Ki ZAO
Avec Wou-Ki ZAO
Membre de l'Académie des beaux-arts

Le Maître d’art Franck Sorbier nous reçoit dans son atelier à Paris. Ce grand monsieur de la haute couture a créé l’habit d’académicien du peintre Zao Wou-Ki, de l’Académie des beaux-arts. Il nous fait partager cette expérience et nous livre quelques passages essentiels de sa vie et de son "métier de rêve". Un reportage à l’occasion des journées des métiers d’art (30 mars-1 avril 2012)

Il est le seul Maître d’art de la haute couture, nommé sous le sobre titre « tailleur ». Loin des clichés "mode" du monde du luxe, il reste concentré sur le travail d’excellence qu’il accomplit chaque jour pas à pas et patiemment : « Pour le monde extérieur cela a souvent rapport avec les paillettes. Pour moi, c’est autant un métier de réflexion et de recherche que de création ».

Franck Sorbier a reçu l’équipe de Canal Académie dans son atelier en mars 2012

De la machine à coudre familiale où il fait ses armes « de manière périlleuse», naît le besoin d’exister et d’être différent plutôt que se fondre dans la masse. Une envie de se mettre en danger ? Plutôt un besoin de créer. Ressembler aux maîtres idéalisés comme Serge Lutens devient une ligne, un rêve. « Je pensais que mon métier allait être un grand rêve. Il y avait aussi le besoin de liberté. Etant "accro" au rêve et à la liberté, le choix était facile. Je n’étais pas très doué pour les études en général mais assez pour les langues. J’aurais pu suivre un cursus plus classique mais j’avais envie d’une formation rapide pour me retrouver vite sur le marché du travail. » Difficile de faire sa place dans une profession où les diplômes et la voie royale comptent. L’opiniâtreté et le talent amènent Franck Sorbier à se faire connaître et à se démarquer. D’abord en 1990 avec les vestes, une collection « monoproduit » qui tranchait avec l’idée d’alors d’une création de tenue totale ; puis avec une invention, celle de la technique de la compression : « Cela a été un tournant dans ma vie. Avoir fait des vestes c’était bien mais je n’étais pas le premier à en faire. La compression ne vient que de moi. J’aime détourner les matières et les transformer.*»

Le peintre académicien Zao Wou-Ki portant l’habit créé par Franck Sorbier le 23 novembre 2003

Aujourd’hui Franck Sorbier travaille pour les quelques 200 clients de la haute couture dans le monde. Prestige suprême, il a créé l’habit d’académicien du peintre Zao Wou-Ki que ce dernier a porté sous la Coupole le 23 novembre 2003 lors de sa réception. Une expérience qui a laissé une trace bien présente : « A l’époque je n’étais pas encore Maître d’art ni labellisé « haute couture ». Cela a été une expérience formidable car il est un homme malicieux et fort coopératif, sympathique. Il a beaucoup d’humour ! Et puis l’Académie peut paraitre rigide, en réalité, elle a une vraie dimension. Ce côté solennel me parait bénéfique à notre société. Je trouve que nous manquons de rituels, de grand-messes. Il fallait pour son costume retrouver le côté chinois avec des lignes douces. Nous n’avons donc pas voulu une queue-de-pie très conventionnelle, ce qui va bien avec le personnage et sa peinture. »

Sorbier Haute Couture Hiver 2010\/2011. Photo : Piero Biasion

Prêt à renouveler l'expérience ? «J'aurais adoré réaliser le costume de Simone Veil dont je suis un grand admirateur depuis toujours. C’est une femme qui a fait énormément pour la société, une grande féministe, une femme très engagée et très belle. Il y a quelque chose de solide en elle qui me touche beaucoup.»

Sorbier Haute Couture Hiver 2010\/2011. Photo : Piero Biasion

Franck Sorbier est Maître d'art depuis 2010, une "appellation" qui l'honore. Il continue toujours à faire des modèles à la machine et à se réinventer : «Je suis heureux d’avoir été nommé Maître d’art car je rejoins une famille qui m’intéresse, c'est-à-dire des gens comme Raymond Massaro et François Lesage. Dans l’idée de Maître d’art il y a le lien avec le savoir-faire, ce lien est précieux pour moi. Je continue à faire des modèles moi-même à la machine.
» Il y a tant à dire, écouter ou écrire sur le couturier que nous vous invitons à télécharger l'intégralité de l'émission sonore. Deux extraits ci-dessous :

*Qu’est-ce que la compression ?

- « J’ai donné ce nom à cette technique en hommage à César : je prends du tissu, je le froisse directement sous la machine et je le pique. Avec un tissu de base comme la mousseline cela devient un autre tissu. Avec ces morceaux de tissu que je relie entre eux sur un mannequin en bois, j’arrive à faire une robe qui est complètement moulée, sans aucune couture (sauf dans le dos bien sûr). Il y a effectivement un rapport avec la sculpture et aussi une notion de refaire un corps. C’est un peu ce que vit notre société dans lequel le corps est absent. On le voit d’ailleurs avec les mannequins qui sont très maigres. Nous ne sommes plus dans une époque de femmes mais plutôt de filles. On dirait qu’on veut absolument prolonger l’adolescence alors que ce n’est pas forcément le plus bel âge de la vie… »

La haute couture peut être culturelle et imaginative

- «Ce qui m’a plu ces dernières années aussi c’est de présenter et aborder les collections de manière différente. Nous avons par exemple été la première maison à montrer notre collection haute couture sur Internet. Nous avions envoyé un carton d’invitation avec un code d’accès et le jour "J" les gens découvraient la collection. Cette collection s’appelait « les Passionarias », en hommage aux femmes qui ont changé la face du monde dans l’histoire. Nous avons également fait un film en 3D en noir et blanc pour présenter une collection, cela se tenait au Balzac. Nous nous étions servis de souvenirs du cinéma, de Chaplin à Bourvil…»

Sorbier Haute Couture Eté 2012. Photo : Piero Biasion
L’atelier de couture de Franck Sorbier est un havre de créativité

Les journées des métiers d'art permettent de visiter des ateliers exceptionnels : http://www.journeesdesmetiersdart.com/

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