Calvin ou la biographie déformée d’un juriste au service de la parole

Avec Jean-Luc Mouton, directeur de l’hebdomadaire protestant Réforme
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Jean-Luc Mouton vient de faire paraître Calvin chez Gallimard en le décrivant comme un véritable prophète qui a renouvelé les conceptions de l’Eglise. Souvent dépeint négativement, caricaturé et largement ignoré, Calvin mérite beaucoup plus que la réputation qui lui est faite. Notre invité explique les origines de ce discrédit.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : pag591
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Jean-Luc Mouton

Notre invité, Jean-Luc Moutou : Après avoir suivi une formation de juriste, de théologien et de journaliste politique, et exercé diverses missions dans le protestantisme - il a été responsable national des Eclaireurs unionistes de France et aumônier universitaire à Strasbourg -, Jean-Luc Mouton se consacre depuis une vingtaine d’années à la presse écrite nationale. Ancien chef du service politique au quotidien La Croix, il a collaboré à de nombreuses émissions de radio, en particulier sur France Culture où il a animé une rencontre culturelle et religieuse hebdomadaire. Il est actuellement directeur de l’hebdomadaire protestant Réforme.

Il écrit : « Humaniste, fin lettré, juriste et théologien, Jean Calvin (1509-1564) est l’un des pères de la Réforme protestante. Venu après Luther, c’est dans une langue admirable qu’il développe et systématise les principes d’une foi évangélique libérée des superstitions et des carcans issus du Moyen Âge. Travailleur forcené, malgré une santé défaillante, réfugié à Genève où il tente d’organiser une République nouvelle, il éblouit par ses ardeurs intellectuelles mains n’en suscite pas moins polémiques et haines inexpugnables. Caricaturé et largement ignoré, Calvin mérite beaucoup plus que la réputation de rigueur qui lui est faite.

Jean Calvin(1509-1564)



Être complexe, à la fois rationnel et passionné, il est bien ce « prophète » jeté dans le monde moderne, chargé de ramener ses contemporains, lettrés et illettrés, à la pureté de l’Evangile.

27 Mai 1564. En ce début d’après-midi, quelques personnes s’avancent sous le soleil printanier vers le cimetière de Plain palais, aux abords de la ville de Genève. Dignes mais visiblement affectées, elles s’approchent d’une large fosse de terre fraîchement retournée. De ce petit groupe émergent les silhouettes de Théodore de Bèze, le successeur, Marie, sa sœur et quelques intimes.



La foule des anonymes ne participe pas à l’évènement. Pas de cérémonie. Pas discours. Pas d’hymnes. La fosse commune est ouverte, béante, devant le petit cercle. Lentement, sans un mot, le corps du défunt est porté en terre. Il repose là, entouré d’un simple linceul. Sans cercueil, simplement cousu dans un drap de grosse toile. Il n’y aura ni tombe, ni pierre tombale, ni aucun signe visible. Aucun lieu de mémoire… L’homme que l’on porte en terre s’appelle Jean Calvin.
Celui que l’on considère parfois comme le fondateur d’une nouvelle civilisation venait d’être porté en sa dernière demeure selon les strictes ordonnances ecclésiastiques décidées en 1541 par la compagnie des Pasteurs de Genève.



L’ancien monde, l’unité de la chrétienté venaient peut-être de se fissurer irrémédiablement, la société qui émergeait ne serait plus jamais tout à fait la même : il en était l’auteur et le principal responsable. Il le percevait. Il se savait « choisi et envoyé », mais rien ne devait le distinguer des autres mortels. Tout était don et grâce reçue. Radicalement. Définitivement. Une existence qu’il voulait totalement tendue vers un seul labeur « Porter et annoncer la vérité de l’Evangile ».
Une vie pleine et saturée d’évènements marquants qu’il voulait radicalement marquée par le sceau de la non-apparence à soi.
Quelle que fut la vie de cet homme, sa mort seule impose un certain respect. Le sentiment diffus d’une personnalité, d’une force de conviction et d’un radicalisme hors du commun.

Et pourtant… Une véritable calamité aux yeux de l’histoire que ce Jean Calvin ! Contesté, vilipendé, caricaturé. Que n’a-t-on pas écrit et professé sur le Réformateur de Genève…
Calvin n’est-il pas celui qui a commandité l’exécution du docteur espagnol Michel Servet brulé en place publique de Genève pour hérésie ? N’est-ce-pas lui qui a formulé cette sinistre doctrine de la double prédestination qui semble sceller pour l’éternité le sort de tout un chacun ?
La littérature polémiste luthérienne a du largement contribué au discrédit dont on accable généralement Calvin. Les historiographes et théologiens allemands n’ont pas peu contribué à l’image détestable du Réformateur.
Hostilité qui, du reste, finit par déborder le cadre du christianisme pour s’enrichir encore au contact du camp laïque et positiviste dans la France du XIXème siècle… Jusqu’à l’invraisemblable amalgame suggéré par le livre de Stefan Zweig à la veille de la seconde guerre mondiale décrivant un Calvin triste et cruel, chef d’une « Gestapo des mœurs » dont la terreur théocratique stérilisera Genève des siècles durant.

Conter la vie de Calvin revient à reprendre le fil d’un procès qui a débuté de son vivant et qui s’est développé sitôt son décès connu. C'est ainsi que le travail de ses premiers biographes : Théodore de Bèze (son successeur à Genève) et Nicolas Colladon en porte indubitablement la marque. Et cette trace affecte directement la connaissance que nous avons de Calvin. Ou plutôt que nous n’avons pas.

Nicolas Colladon s’est attaché très longuement à réfuter les allégations mensongères de ses adversaires montrant Calvin sous les traits d’un « être charnel, égocentrique et replié sur lui-même, voué à la seule satisfaction de ses plaisirs mondains, de sa volonté de briller et de dominer ».
Ni ambitieux ni avare, un homme qui n’a pas vécu pour lui-même et toujours chastement. Un homme d’une « médiocrité louable » qui mangeait peu, dormait encore moins, mais vivait en « s’oubliant soy-mesme" pour servir à Dieu et à son prochain. Mieux, si Nicolas Colladon s’est résolu à écrire une biographie du Réformateur, c’est comme à regret. Il fallait bien rendre justice au Maître contre les fausses et calomnies qui circulaient sur son compte mais, en même temps, il fallait que soit transmise cette vérité sur Calvin : la propre personne du Réformateur importe peu, seule compte la « mémoire de sa doctrine », celle qui consiste à accroître la «gloire de Dieu". La vie de Calvin devait être la narration d’une vie offerte à Dieu, un témoignage rendu à la Etre à Dieu revient, en effet, dans le discours de Calvin, à être absent à soi-même pour être entièrement dépendant de la grâce de Dieu. Calvin se voulait la sentinelle et le témoin privilégié de Dieu dans l’histoire du monde à laquelle il participait…

Calvin se laisse découvrir au fond comme l’être absent de la pensée calvinienne. Un déni de soi que le maître de Genève a poussé aussi loin qu’il le pouvait. Il a demandé lui-même à être enterré dans une fosse commune et anonyme afin que nul ne s’avise de lui rendre quelque culte du souvenir que ce soit. Si un tel déni de soi ne peut emporter l’adhésion, il force malgré tout un certain respect. Une telle puissance de conviction et de fermeté n’est vraiment pas si courante…

Impossible de ne pas pressentir que cette absence à soi a nourri la mauvaise image de ce Calvin au visage émacié, distant et d’une austérité glaciale. Une glace que le Réformateur semble ne jamais avoir voulu rompre, alors qu’on le devine si facilement boulimique, travailleur acharné, emporté par une verve et une qualité d’écriture uniques. Parole inlassable, active et vive à lire ses traités, ses innombrables lettres et ses terribles polémiques. Un oubli de soi qui peine à masquer l’être de feu et de passion qu’il devait être. Il mène toute sa vie une sorte de guerre à outrance contre les papistes, les anabaptistes hérétiques, les libertins spirituels…avec une verve plutôt réjouissante, une fougue, ce que d’aucuns appellent une « logique d’exécration » époustouflante. Très loin de toute image aussi pieuse que mièvre, il est entier combattant, passionnément vivant jusqu’à son dernier souffle…
Quand il s’exprime en chaire, il se veut le porte-parole de Dieu, quand il s’adresse au Magistrat, c’est au nom de la Compagnie des pasteurs et de l’Evangile. Idem pour les correspondants de toute l’Europe, ou quand il rédige des libellés ou des traités… C’est toujours en tant qu’enseignant de la vérité de Dieu qu’il agit. Il est, affirme-t-il, simple instrument de la gloire de Dieu. Mais il est en réalité beaucoup plus qu’il ne veut bien l’admettre. Calvin vit et se mobilise dans la parfaite conscience d’être un acteur de Dieu. Un acteur profondément engagé et responsable dans le grand théâtre du monde.
Calvin a conscience d’un basculement possible du monde qu’il s’emploie à porter de toute son espérance… »

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