Points de vue calvinistes sur la messe, les sacrements, le prêtre, les rites...

Regards croisés autour de Calvin avec Bernard Cottret, Olivier Millet et Pierre Janton
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Trois spécialistes de la Réforme, Bernard Cottret, Olivier Millet et Pierre Janton, échangent leurs connaissances et réflexions pour exposer de façon claire et vivante, similitudes et divergences entre foi et pratiques calvinistes : Que pensent les calvinistes de Dieu, de Jésus-Christ, de la Vierge et des Saints, des reliques, des sacrements, de la messe, de l’Eglise…en cette année 2009 célébrant le 500e anniversaire de la naissance de Jean Calvin. Ils sont les invités de Virginia Crespeau.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : rc506
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Nos invités : Pierre Janton, docteur en lettres et en théologie, professeur émérite de langue et littérature anglaises – Olivier Millet, professeur de littérature française à l’université de Paris 12 – Bernard Cottret professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin, membre senior de l’Institut universitaire de France.

Bernard Cottret

A la question pourquoi Jean Calvin considérait-il la messe comme une idolâtrie ?Bernard Cottret répond :
« Il y a des choses dans l’attitude de Jean Calvin que nous avons du mal à reconstituer en notre temps marqué tout de même par l’œcuménisme, en particulier cette espèce d’exécration que Calvin et plus généralement les protestants du XVIe siècle pouvaient ressentir par rapport au rite romain ; cela est très nettement marqué chez Jean Calvin qui déconseillait effectivement aux fidèles de trouver le moindre compromis avec cette Eglise romaine ; il leur disait : il faut fuir, il faut fuir cette Babylone plutôt que de vous laisser polluer par ces rites impurs.
Cette insistance peut nous paraître démesurée à l’heure actuelle, nous avons du mal en tout cas à entrer dans les mentalités du XVIe siècle ; la messe était effectivement perçue par ceux qui avaient fait le choix de la Réforme et qui s’étaient donc engagés dans la nouvelle religion, comme le summum de l’imposture, pourrait-on dire pour utiliser un vocabulaire qui sera plus tard celui des Lumières, et pour en revenir à un enseignement plus biblique, la messe est pour eux une idolâtrie ; cette critique est radicale et c’est véritablement ce qui va permettre au Christianisme réformé français de se constituer : l’Affaire des Placards en 1534 mettra le feu aux poudres.

Jean Calvin (1509-1564)

Par ailleurs, le traité des reliques, ouvrage de Jean Calvin, est un texte tout à fait extraordinaire par sa causticité, et je dirais que c’est un texte qui se prête à double niveau de lecture au moins : le premier niveau de lecture est une satire de ce que l’on trouve dans le catholicisme du temps et en particulier l’usage intempestif des reliques ; mais il y a une chose beaucoup plus fondamental dans le traité des reliques c’est une réflexion en profondeur sur les mécanismes même de l’idolâtrie ; et quand on prend Calvin au sérieux on s’aperçoit que ces mécanismes de l’idolâtrie ne sont pas le fait uniquement de l’adversaire sur le plan confessionnel ou sur le plan dogmatique, ce ne sont pas uniquement les catholiques qui sont visés, mais c’est l’idolâtrie qui de façon inévitable s’empare de toute religion y compris la plus pure. Et je crois qu’il y a vraiment chez Calvin une volonté de mettre en garde les fidèles contre la dérive idolâtre en disant : personne n’est exempt de cette dérive. »

Olivier Millet

Olivier Millet poursuit :
« C’est un point extrêmement important, Calvin n’est pas seulement, lorsqu’il redéfinit l’évangile au sens de la Réforme protestante, quelqu’un qui s’oppose à Rome, c’est-à-dire qui conteste une interprétation, c’est quelqu’un qui réfléchit sur les rapports de l’homme et de Dieu, de Dieu et de l’homme et sur ce que nous appelons aujourd’hui le sacré en fait et qui redéfinit tout cela.
Comme il ne le fait pas en philosophe détaché, désintéressé, mais qu’il le fait en porte-parole de ce qui lui semble être la révélation divine, il conteste de manière radicale ce avec quoi il n’est pas d’accord : cette conception traditionnelle voire médiévale du sacré et cette contestation pour lui porte sur l'erreur, -Bernard Cottret vient de parler d’imposture-, c'est-à-dire que l’erreur n’est pas seulement une erreur intellectuelle, l’erreur est une falsification des rapports entre l’homme et Dieu ; d’où cette véhémence chez lui et ce rejet terrible de la messe qu’en nos temps œcuméniques nous ne pouvons presque plus comprendre… Puisque pour nous il s’agit, même si nous ne sommes pas d’accord avec la messe catholique d’une sorte d’approximation, mais pour Calvin l’approximation par rapport à la vérité n’est pas une approximation, c’est une falsification. »

Pierre Janton


Pierre Janton enchaîne :
« Évidemment l’œcuménisme passe un coup de pinceau sur bien des différences qui restent cependant fondamentales.
Pour Calvin, la messe ne peut être qu’une idolâtrie parce que c’est l’impanation de la divinité et donc le pain devient lui-même divin sur un geste de consécration du prêtre, ce qui fait que le prêtre est une sorte de magicien qui transforme le pain en Dieu… Et c’est sur cette notion de prêtrise, ce monopole du sacré que repose la hiérarchie catholique. Calvin a détruit cela. Et c’est pourquoi il s’est fait l’ennemi radical d’une religion fondamentalement opposée à la sienne, puisque la religion de la messe c’est adorer Dieu présent physiquement pas seulement spirituellement dans l’hostie et dans le vin.
Pour Calvin, Dieu est bien présent mais dans le cœur du croyant ; de sorte qu’à mes yeux le catholicisme et le protestantisme sont deux religions radicalement différentes parce qu’elles ont une approche tout à fait divergente du sacré. »

Olivier Millet complète :
« Ce sont deux interprétations différentes du Christianisme ; et il est vrai que c’est là le moment de rupture de Calvin ; Martin Luther le premier réformateur avait déjà critiqué la messe, mais Calvin lui tire toutes les conséquences anthropologiques qui concernent l’homme, l’humanité dans son rapport avec Dieu. Il en tire toutes les conséquences, pas seulement théologiques et spirituelles, mais aussi sociales, culturelles ; les Luthériens, plus prudents sur ces questions-là, n’étaient pas allés jusqu’au bout de la démarche.
Calvin en déployant la signification des grandes intuitions réformatrices, les conduit à leurs termes, ce qui produit une reformulation du Christianisme ou une nouvelle interprétation du Christianisme.
Le protestantisme reconnait deux sacrements le baptême et la Cène. La cène étant une communion des fidèles au corps représenté par le pain et au sang représenté par le vin mais cette impanation c'est-à-dire que le Christ se rend présent par son esprit dans le cœur des fidèles à travers la célébration du rite. »

Jusqu’où ira la désacralisation ?
Pour Bernard Cottret « la désacralisation ne connait pas de borne, en réalité. Et j’aime beaucoup cette formule qu’a utilisée Pierre Janton : le calvinisme est aussi une religion du cœur. Il s’agit d’une dimension que l’on a complètement passée sous silence; on a fait du calvinisme une espèce de rigorisme moral absolu et l'on s’aperçoit à la lecture de Calvin de l’existence attestée d’une sensibilité réformée ; il y a une volonté de rendre compte justement de toute cette piété ; cela n’est pas du tout une religion sèche comme on le dit parfois, il suffit de lire Calvin, ce sont des textes d’une admirable beauté…»

En savoir plus sur nos invités :

Bernard Cottret est docteur ès lettres, professeur de civilisation des îles Britanniques et de l'Amérique coloniale à l'Université de Versailles-Saint-Quentin.

Olivier Millet, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est professeur de littérature française à l'université de Paris 12. Spécialiste de l'humanisme et de la littérature religieuse, il a consacré sa thèse à Calvin, a édité Institution de la religion chrétienne dans sa version française de 1541 et publié de nombreuses éditions et études d'œuvres de la Renaissance française (Montaigne, Du Bellay, Marguerite de Navarre).

Pierre Janton est docteur en lettres et en théologie, ancien professeur de langue et littérature anglaises. Il a dirigé un centre de recherche sur la Réforme et la Contre-Réforme et publié plusieurs ouvrages et articles sur la Réforme, la Renaissance, le protestantisme.

En savoir plus :

Consultez le site de Bernard Cottret


Bernard Cottret, Traité des reliques, Editions de Paris, septembre 2008
Bernard Cottret, Calvin, éditions Jean-Claude Lattès, 1995
Olivier Millet, Calvin : Un homme, une œuvre, un auteur, éditions Infolio, 2009
Pierre Janton, Jean Calvin, ministre de la parole : 1509-1564, éditions du Cerf 2008

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